Pour Nathalie M., une fan de notre ronchon national....
Sa disparition, autant inattendue que brutale a suscité une vive émotion en ce début d’année teinté d’autant de morosité que d’espoir timide à pouvoir espérer retrouver une vie qui ressemblerait un « chouia » à celle d’avant, comme aurait proclamé en bougonnant l’anti-héros du jour, Jean-Pierre Bacri… Ce dernier aurait certainement dit « Putain, ce n’est pas vrai …fais chier, quelle année de m… » et cela nous aurait faire rire…mais aujourd’hui, le rire est plutôt jaune….
Il avait 69 ans et disparait des suites d’une longue maladie, comme on dit généralement et que ce râleur pudique n’a pas ébruitée, préférant la combattre courageusement comme l’a rappelé son médecin devenu un « complice » des joutes oratoires avec son patient qui souhaitait cependant être traité comme n’importe quel autre malade….
« Le spectacle continue » aurait encore t’il râlé, « on ne va pas faire toute la soirée sur moi » exceptionnellement on répondra par l'affirmative et même les suivantes pour rediffuser en hommage les quelques longs métrages de cet acteur et auteur majeur, les films-culte comme on dit encore. : « le goût des autres », « un air de famille », ou encore « le sens de la fête » son dernier film…de quoi se payer un bon moment de franche rigolade et de savourer un scénario toujours bien ficelé….
Il avait vu le jour en 1951, de l’autre côté de la Méditerranée, à Castiglione (aujourd’hui Bou Ismail), une station balnéaire située entre Alger et Tipaza, au cœur d’un territoire cher à Albert Camus, appartenant comme lui au « petit peuple pied-noir » et qui sera contraint à l’exil en 1962, au moment de l’Indépendance….
Son père était facteur la semaine et ouvreur au cinéma de la ville le Week-End, ce qui permet au petit Jean-Pierre de découvrir les grands westerns comme « Règlement de comptes à OK Corral » sans se douter qu’un jour lui-même passerait du statut de spectateur lambda à celui d’acteur célèbre….
Mais dans cet instant présent, ce sera plutôt la « dernière séance » au cinéma de quartier de Castiglione car le départ la « métropole » est précipité comme pour près d’un million de pieds noirs ayant dû opter pour « la valise ou le cercueil » comme on dit à l’époque, alors ce sera direction Cannes : tiens, tiens, une ville indissociable du monde du Cinéma qui abrite le plus prestigieux des festivals du septième art…. Le jeune Jean-Pierre y passera les douze prochaines années de sa jeune existence avant de « monter à Paris » un beau jour de 1974 où il tente pendant une courte période de se frotter au milieu de la publicité….
Au lycée Carnot de Cannes, il s’imaginait devenir plus tard professeur de Français et de Latin, puis banquier mais pas du tout acteur comme il le confiera avec humour, à Pierre Tchernia lors d’un passage à son émission « Mardi Cinéma » en 1986.
C’est grâce à une copine (envers laquelle il éprouve quelques jolis sentiments) qu’il se rend par hasard à un cours de théâtre (le fameux Cours Simon puis ce sera Perrimony) et c’est la révélation : celui qui avait déjà l’ambition d’écrire, se découvre une nouvelle passion : les planches…. On connaît la suite…tout va s’enchaîner très vite, même s’il ne concrétise pas avec sa dulcinée du moment… « La femme de sa vie » arrivera un peu plus tard…
Il finit par « bruler les planches » ou en continuant à écrire, alternant le métier de comédien avec celui de dramaturge durant la fin des années 70, travaillant notamment avec le meilleur en scène Jean-Pierre Bouvier…
Sans délaisser le théâtre, il fait une première apparition télévisée dans les fameuses « enquêtes du Commissaire Maigret » avec Jean Richard puis cinématographique l’année suivante dans « Le Toubib » aux côtés de son idole de jeunesse, Alain Delon….
Mais il acquiert une certaine notoriété en 1980, en jouant le rôle d’un proxénète dans le « Grand Pardon » une sorte de « Parrain, version Pied-Noir » réalisé par Alexandre Arcady avec comme vedette Roger Hanin, Jean-Louis Trintignant, et une belle brochette de comédiens prometteurs, à l’instar de la vedette et du réalisateur, citons Gérard Darmon, Jean Benguigui, Richard Berry, Bernard Giraudeau, Anny Duperey et Clio Goldsmith, etc….
Les seconds rôles s’enchaînent par la suite sous la direction de Jean-Pierre Mocky, Claude Lelouch ou Jean-Marie Poiré, ce dernier le faisant tourner dans « Mes meilleurs copains » avec Gérard Lanvin, Christian Clavier et celui qui deviendra un complice dans l’avenir : Jean-Pierre Darroussin….
Mais c’est en 1986 qu’arrivent les premiers rôles, notamment dans « Mort un dimanche de pluie » un thriller inquiétant réalisé par Joel Santoni où il a pour partenaire Nicole Garcia et surtout « L’été en pente douce » de Gérard Krawzyck, qui remporte un grand succès public et ou ses partenaires sont Jacques Villeret et Pauline Laffont, tous les deux disparus prématurément….
Cette année 1986 est finalement un grand cru pour Jean-Pierre Bacri, qui commence à se faire « un nom au cinéma », dépassant en notoriété un autre « Bacri », Roland, avec lequel il n’a aucun lien de parenté, journaliste au « Canard enchaîné », parfois surnommé « Roro de Bab-El-Oued »….et c’est surtout en jouant sur les planches du Théâtre Tristan Bernard à Paris, la pièce « L’anniversaire « d’Harold Pinter, mise en scène par Jean-Michel Ribes, qu’il fait la connaissance de sa partenaire qui deviendra vite sa compagne : Agnès Jaoui….. On connaît la suite…
Agnès Jaoui est alors une jeune femme de 22 ans, elle nait effectivement en 1964 dans la banlieue Parisienne, issue d’une famille juive d’Afrique du Nord mais de Tunisie…elle grandit dans un milieu d’intellectuels, engagés politiquement à gauche, plutôt Sioniste et dispensant une éducation très libre…. Ancienne élève du lycée Henri IV à Paris, elle s’orientera très rapidement vers l’Ecole du spectacle des Amandiers de Nanterre dirigée par le « Maitre » Patrice Chéreau qui lui donnera d’ailleurs son premier rôle au cinéma….
Sa route va donc croiser celle de Jean-Pierre Bacri, de treize ans son aîné et au parcours déjà riche mais surtout d’assister à la genèse d’un couple aussi bien à la ville que sur scène qui vont écrire à quatre mains quelques joyaux du théâtre et du cinéma français…. Leur union sur la scène comme à la ville durera un quart de siècle, et après leur séparation en 2012, ils continueront à collaborer jusqu’en 2018 avec « Place Publique » d’ailleurs réalisé par Agnès Jaoui et où les deux acteurs jouent d’anciens conjoints réunis pour une bonne cause….
« Un couple en or » serait-on tenté de dire, aussi bien au sens propre que figuré, deux artistes singuliers faits pour se rencontrer, avec leurs différences mais surtout soudé par une grande complémentarité qui sera leur « force de frappe » : la « vis comica » de Jean-Pierre, le « client idéal » pour les émissions de radio-télé comme des cérémonies et le regard affuté d’Agnès derrière la caméra qui fait d’ailleurs de cette dernière la réalisatrice la plus primée du cinéma Français.
Leur duo aura à son actif un palmarès qui peut faire plus d’un de leurs confrères : deux pièces de théâtre, huit films en commun, ainsi que de nombreuses récompenses aux Molières et aux Césars, avec l’aval aussi bien du public que de la critique, ce qui comme chacun sait est loin d’être gagnée d’avance en France…
En ce qui concerne Bacri, sur les planches, il recevra le Molière de l’auteur pour "Cuisine et Dépendances " et celui du comédien pour son rôle dans « Les Femmes Savantes » . Au cinéma, il reçoit quatre fois le César du Meilleur Scénario Original et celui de Meilleur Comédien pour un second rôle pour « On connait la chanson » d’Alain Resnais…
Ce dernier sera d’ailleurs à l’origine du sobriquet « JABAC » contraction de Jaoui et Bacri, clin d’œil sympathique pour désigner ce couple indissociable de la qualité « made in France » …le binôme inspiré écrira d’ailleurs pour le réalisateur « d’Hiroshima, mon amour » les savoureux dialogues de « Smoking, no smoking » avec le tandem Arditi-Azéma
Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui travaillent en « famille » aussi bien avec les réalisateurs : Philippe Muyl pour l’adaptation cinématographique de « Cuisine et Dépendances, que Cédric Klapisch et son cultissime « Air de Famille, et des acteurs : Jean-Pierre Darroussin, Vladimir Yordanoff, Jamel Debbouze, Jean-Paul Rouve…
Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui travaillent en « famille » aussi bien avec les réalisateurs : Philippe Muyl pour l’adaptation cinématographique de « Cuisine et Dépendances, que Cédric Klapisch et son cultissime « Air de Famille, et des acteurs : Jean-Pierre Darroussin, Vladimir Yordanoff, Jamel Debbouze, Jean-Paul Rouve…
Bacri le ronchon, le « râleur préféré des Français » comme il a été écrit lors de son éloge post-mortem, mais on sait que l’homme était bien plus complexe que ça, un homme droit et loyal, comme certains de ses proches l’ont rappelé.
Il avait la « tripe à Gauche » comme beaucoup d’artistes mais il se voulait être un esprit libre, éloigné de l’angélisme ou du politiquement correct et qui aimait dire parfois haut et fort ce qu’il pensait sur des sujets qui lui tenaient à cœur, quitte à ne pas plaire à tout le monde.
Interviewé par Darius Rochebin (journaliste vedette de la Télé Suisse Romande) qui l’interrogeait sur le fait qu’il pouvait incarner l’image du « Bourgeois Bohème » (Bobo), il rétorqua « je préfère être un Bourgeois bohème qu’un Bourgeois Réac » …
Il était comme ça, Jean-Pierre Bacri, l’homme qui souriait rarement (c’était son côté Sardou) mais qui n’en avait pas moins un esprit « pince sans rire » et qui avait probablement un don de sympathie inné, d’où cette popularité restée intacte auprès du grand public et jouissant d' une grande estime au sein la « corporation » des artistes qu’il n’hésitait jamais à défendre lors des « cérémonies », quitte à défier les ministres de tutelle en présence……
Comme disait son voisin et ami, Pierre Lescure : c’était un Epicurien, un homme qui aimait « bouffer la vie », gros clopeur, amateur de bonne bouteille, refaire le monde à la Pizzeria du coin et un « petit pétard » pour finir la soirée….
Le gamin d’Algérie (mais il n’était pas nostalgique de sa prime enfance, privilégiant plutôt l’instant présent, probablement, son côté Carpe Diem) est donc devenu une figure majeure de nos scènes et écrans (aujourd’hui en sommeil pour les raisons que l’on connait) et qui avait su trouver sa « bonne étoile », n’hésitant pas à rendre hommage à celle qui « avait permis » de l’atteindre, même si leurs doigts ne se croisaient plus. : Agnès Jaoui… Cette dernière lui renvoyant la politesse en disant lors de sa disparition qu’elle lui devait tant….
C’est certainement ce que l’on appelle « la force de l’amour »… Même s’ils se sont quittés, qu’ils n’ont pas eu d’enfants ensemble car notre bougon n’en ressentait pas le besoin (dommage, ils auraient assuré la relève du duo magique), ces deux là qui avaient de « la feuille » (traduction : qui savaient écrire de belles histoires) nous auront laissé quelques-unes des plus belles pages du septième art….
Mais aujourd’hui, le rideau s’est baissé pour Jean Pierre Bacri, l’homme qui n’aimait pas les héros et qui dirait probablement : ah, fais ch….. !
« Quand on mesurera la connerie, tu serviras d’étalon, tu seras à Sèvres ! »
Bon anniversaire, monsieur Michel Audiard ! Vous auriez eu 100 ans cette année (eh oui, déjà !).
Un peu d’histoire
Des centaines de citations, telle celle énoncée ci-dessus, ont fait passer Michel Audiard à la postérité. Nombre des films qu’il a dialogués ou réalisés sont inconnus des jeunes générations, mais ses réparties, sentences et traits d’humour, sortent encore parfois de la bouche de personnes de tous âges sans en connaître toujours la provenance.
Mais qui était Michel Audiard ? Né dans le populaire 14ème arrondissement de Paris le 15 mai 1920, il en gardera ou imitera la gouaille des titis, « prolos » et marlous (il y avait à l’époque un vrai esprit parisien, englouti dans la plate uniformisation de notre société citadine), il vivra de petits boulots (après un simple CAP de soudeur) , tout en s’intéressant à la littérature puis au journalisme, avant de se faire remarquer et d’intégrer dans l’après seconde guerre mondiale le milieu du cinéma.
Il devient dialoguiste, sa notoriété s’accroit. Il rencontre Jean Gabin, pour qui il écrit des scenarii, des dialogues (le cave se rebiffe, les vieux de la vieille, le pacha, un singe en hiver- avec Jean-Paul Belmondo …) ; ils resteront très proches (malgré une brouille passagère). Puis ce sont les célèbres films pastiches de policiers de série B (les barbouzes, les tontons flingueurs, ne nous fâchons pas …) qui feront de lui une icône du cinéma populaire, mais aussi un cinéma de copains, avec Lino Ventura, Francis Blanche, Bernard Blier, André Pousse Il écrit pour Jean-Paul Belmondo (Cent mille dollars au soleil, l’incorrigible, le Guignolo …).
Ses films postérieurs seront plus sombres, après un évènement tragique : le décès de son fils aîné dans un accident de la route. Mais les dialogues sont toujours savoureux (garde à vue, mortelle randonnée, espion lève-toi, canicule …). Il décède d’un cancer, à l’âge de 65 ans, en 1985 (si jeune !) et est enterré au cimetière de Montrouge (14ème arrondissement de Paris).
Il aura écrit les dialogues, scénarisé ou réalisé près de 120 films (difficile de les citer tous ici), dont plusieurs ont dépassé le million d’entrées.
Plus complexe qu’on le croît
Michel Audiard a manié les oppositions et les paradoxes ; s’intéressant très tôt à la littérature et à la poésie (même s’il était d’un niveau scolaire assez peu élevé), il est fan de vélo, et assiste à de nombreuses courses, c’est ainsi qu’il rencontrera son idole, André Pousse (qu’il fera tourner dans de nombreux films). Résistant pendant la guerre, il publiera néanmoins un roman à épisodes dans des journaux collaborationnistes, écrivant parfois des phrases à fort relent d’antisémitisme.
Malgré sa gouaille de titi, l’humour qu’il faisait passer dans ses œuvres et son attitude de bon vivant, il ne se remettra jamais du décès de son fils et traînera à partir de là une déprime, un désappointement que l’on retrouve dans ses mémoires et les dialogues de ses derniers films (garde à vue, mortelle randonnée).
Il se disait solitaire, mais avait un réel culte de l’amitié, des vrais amis, avec un sens du partage et de la simplicité. Ses films les plus anciens n’étaient souvent que des œuvres de série B, parodiques et sans prétention, mais il les truffait de dialogues ciselés, servis par une richesse de langage peu commune.
Autre opposition ne venant pas directement de lui : bien qu’attirant des foules immenses avides de ce cinéma populaire, il fut méprisé par les cinéastes de la nouvelle vague qui trouvaient ses films ringards et surannés.
Et l’Essonne ?
Michel Audiard épousa en 1949 une dourdanaise, Marie-Christine Guibert. Très attaché à la ville de Dourdan, il y possédait une propriété depuis 1955, au coin de la rue Lebrun et de la rue de L’Etang. Il y résida et y travailla par moments (il possédait aussi un logement parisien), tournant même quelques films dans la ville (Le rouge est mis, de Gilles Grangier).Son ami Lino Ventura possédait une propriété non loin de là, au Val Saint Germain.
C’est dans sa maison de Dourdan que Michel Audiard apprit, le 19 janvier 1975, la mort de son fils François dans un accident de la route (il travaillait alors avec Philippe de Broca sur les dialogues du film « le guignolo »).
Il ne se remettra jamais de ce drame. Ses dialogues devinrent alors plus sombres, il s’effondrera intérieurement peu à peu. Il exprima ses douleurs dans son roman paru en 1978 : « La nuit, le jour et toutes les autres nuits ».
C’est à Dourdan qu’il décède le 28 juillet 1985, des suites d’une longue maladie. Son fils Jacques, metteur en scène reconnu, reprendra le flambeau familial dans le domaine cinématographique.
En ce jour du printemps 1991, la salle des fêtes d’Etampes affichait complet pour accueillir Guy Bedos qui entama alors son spectacle par une boutade provoquante : « Quoi, qu’est-ce que j’apprends ? j’ai atterri dans une municipalité Stalinienne où travaille un type qui s’appelle Marx et l’autre Christ ! Eh, public ! Vous ne captez pas la télévision ici ? Descendez de vos tracteurs et prenez des nouvelles du monde ! » Tonnerre de rires dans la salle, sourires fair-play mais grimaçants au premier rang du Maire Gérard Lefranc et de son équipe.
Le ton était donné et les spectateurs qui venaient de se faire traiter de « péquenots » attardés adoubèrent l’humour vachard de l’humoriste et acteur….
La salle de spectacle était le seul endroit selon ses dires dans lequel Guy Bedos se sentait vraiment bien et le public le lui a bien rendu, qu’ils soient des admirateurs ou même des détracteurs…
Né en 1934 dans la deuxième ville de France : non pas Marseille mais Alger, de l’autre côté de la méditerranée, au cœur d’une Algérie alors Française, le petit Guy est un enfant du divorce, élevé par un beau-père violent et raciste et une mère peu aimante et tout aussi réac que son conjoint et qui avait encore un portrait du Maréchal Pétain en 1981….
Arrivée de la famille en « métropole » dès 1950, le jeune Guy a laissé tomber les études et ne sait pas trop quoi faire. Heureusement, son Tonton Jacques Bedos, responsable des Variétés à la RTF d’Algérie a indubitablement contribué à la révélation artistique d’un gamin alors mal dans sa peau et sujet à des TOC…….
C’est bien connu, quand on croit que l’on ne sait rien faire, on devient acteur… alors, il s’inscrit au Cours de théâtre de la Rue Blanche et c’est là que sa vocation s’affirme. Le gamin solitaire d’Algérie va se trouver une vraie famille : celle des planches…. Il croise alors une bande de joyeux lurons qui sont élèves au Conservatoire d’art dramatique….
Une petite bande que l’on surnomme déjà « la Bande à Bebel » dont le chef de file est un certain Jean-Paul Belmondo, fils d’un célèbre sculpteur, membre de l’Institut….
Le jeune apprenti-acteur est déjà une « vedette » au cœur de la vénérable institution, il brille par un talent prometteur mais également par son indiscipline qui insupporte ses professeurs….
Il a un an de plus de Guy Bedos et le courant passe immédiatement entre les deux hommes et cette amitié naissante ne se tarira jamais malgré la célébrité voire la gloire…… Même chose pour les « camarades de chambrée » : Jean Pierre Marielle, Michel Beaune, Jean Rochefort, Bruno Cremer, Claude Rich, Claude Brasseur, Pierre Vernier ou encore la Belle Françoise Fabian (elle-même Algéroise comme Guy) : copains pour la vie……
Le jeune Pied-noir fait progressivement son trou, aussi bien au cabaret (la galerie 55 dirigée par François Billetdoux), le monde du cabaret qui vit ses grandes heures au début des années 60 avec la constitution de Duos prometteurs : Philippe Noiret/Jean Pierre Darras ou encore Victor Lanoux/Pierre Richard ou certains qui font plusieurs « cabarets » dans la même soirée après avoir « cachetonné » au théâtre comme Jean Rochefort……
C’est alors qu’il croise la route d’un jeune homme, tout juste dégagé de ses obligations militaires et que le Tout-Paris considère déjà comme un « surdoué » de la plume : il s’appelle Jean-Loup Dabadie et comme pour Belmondo, le courant passe tout de suite, les deux hommes ayant le même humour, décident de travailler ensemble et une fois encore resteront amis jusqu’au bout : ils auront même l’élégance de quitter ce monde presque’ en même temps……
En 1958, Guy Bedos fait partie de la distribution du film « Les Tricheurs » réalisé par Marcel Carné. L’auteur des « Enfants du Paradis » signe là un film assez médiocre mais qui a le mérite de lancer toute une « nouvelle génération » d’acteurs et d’actrices, annonçant la « Nouvelle Vague » : Jacques Charrier, futur mari de BB, Laurent Terzieff, Pascale Petit et Jean Paul Belmondo qui ne va pas tarder à exploser dans « A bout de souffle » de Godard sont les acteurs principaux de ce film….
Guy Bedos tournera un grand nombre de films dans les années 60, comme « Dragées au Poivre » de Jacques Baratier ou le « Caporal Epinglé » de Jean Renoir mais rapidement les lumières du « Music-Hall » se font pressantes et notre acteur "qui monte" fait les premières parties de deux "pointures" : Barbara et Jacques Brel….
C’est la rencontre avec celle qui deviendra sa deuxième femme, la pétillante et ravissante Sophie Daumier, le duo comique va devenir rapidement très populaire, fréquemment invité dans les émissions de variétés comme celle de Maritie et Gilbert Carpentier, autre duo mais de producteur TV ….
Des sketches écrits pas l’ami Dabadie deviendront culte : « Vacances à Marrakech », « la Quête », sans oublier l’hilarant « La Drague » qui cartonne en 1973, le « boxeur » ou encore « bonne fête, Paulette » sont restés dans toutes les mémoires….
Mais le couple se séparera après douze ans de vie commune en 1977. Guy Bedos qui sait « détester » ne sait pas « désaimer » et restera proche de son ex-épouse jusqu’à la mort de cette dernière, victime d’une longue maladie neuro-dégénérative…
L’humoriste oriente sa carrière vers le one-man show qui prend une « coloration » beaucoup plus politique, l’humour « bon enfant » des années Bedos-Daumier est remplacé par un humour parfois au vitriol où il cogne sur la Droite au pouvoir (Beaucoup), sur la Gauche (très peu) et se réclame d’emblée « de gauche, viscéralement de gauche »
Ses détracteurs qui le trouvent souvent vulgaire et pas très drôle le taxent d’appartenir à la « Gauche caviar », lui répond qu’il est plutôt de « Gauche Couscous » ….Purée !
Aimé ou pas, Guy Bedos crie haut et fort avoir été « blacklisté » par la télé Giscardienne alors qu’il avait fait les grandes heures de la télé Pompidolienne, il est cependant le premier à remplir le « Zenith » et affiche souvent complet dans les autres salles de France et de Navarre. A son désormais « Seul en Scène », en costard décontract’ et cravate dénouée, il s’ajoute la fonction « d’éditorialiste » décryptant l’actu à sa sauce, souvent très pimentée.....
En 1981, Guy Bedos est comblé : la Gauche accède enfin au pouvoir, après 23 ans d’opposition : François Mitterrand est alors porteur de grands espoirs de changement, de plus il nomme à la Culture, Jack Lang, naguère fondateur du festival Universitaire de Nancy et ancien Directeur du Palais de Chaillot.
Le budget de son ministère est en forte augmentation, permettant la mise en place d’une vaste politique culturelle comme ce fut le cas avec André Malraux, vingt ans plus tôt…. La fête de la musique est créée, les subventions pleuvent, l’audio-visuel se libère, les artistes sont aux anges, etc…
Guy Bedos se refait plus fréquent à la télévision, aime bien Drucker l’éclectique (amateur de Cloclo comme de Ferrat), aime puis déteste puis aime à nouveau le déjanté Thierry Ardisson mais il n’aime pas la télé de Guy Lux. Il adore cogner sur la Droite et ses soutiens, distillant toujours une dose de fiel dans ses attaques…
Mais une certaine Gauche va rapidement le décevoir, celle qui a trop rapidement goût au Pouvoir et à ses antichambres opaques… L’admirateur de Mitterrand s’éloigne de lui pour aller vers une Gauche de combat et d’opposition avec sa part de romantisme et d’utopie….
Plus tard, il s’affirme plus Albert Camus qu’Enrico Macias, raillant ce dernier vis-à-vis de son train de vie « dis donc, ça valait le coup de la perdre, l’Algérie », plus Sine que Charlie, où il taxe son directeur Philippe Val, d’opportuniste faisant allégeance à son meilleur ennemi, Nicolas Sarkozy qui l’a nommé directeur de France Inter , se trouve de nouvelles têtes de Turc : Nadine Morano, taxée de « grosse conne », Eric Zemmour et même François Hollande mais plus sur le registre du « dépit amoureux »….
L’artiste continue à remplir les salles avec ses « seul en scène » comme en duo qu’il retrouve avec sa grande amie, Muriel Robin lors d’un mémorable passage à l’Olympia….
La scène reste sa bouffée d’oxygène mais il n’a jamais cessé de fréquenter les plateaux de télévision et de cinéma : en 1970, celui qui s’était fait réformer pour ne pas aller combattre ses « frères » musulmans sur sa terre natale d’Algérie joue dans le désopilant film de Claude Berry : « Le Pistonné » où l’histoire d’un aspirant-pistonné dont la trajectoire ne se passe comme prévu (il a pour partenaire un certain Michel Colucci, co-fondateur avec Romain Bouteille du Café de la Gare et futur comique majeur des années 75/80)..
Il découvre Pierre Desproges, ancien journaliste à l’Aurore, révélé par l’émission culte : « le Petit Rapporteur » de Jacques Martin ou comme l’avocat « le plus bas d’Inter » dans le « Tribunal des Flagrants délires » avec Claude Villers, sur France-Inter….
C’est le coup de foudre professionnel entre les deux hommes, pas forcément du même bord politique mais sur la même « longueur d’ondes » quant à l’humour décalé, où parfois le second degré est pris au premier par certains……On peut rire de tout mais pas avec toute le monde, dixit Desproges...
Bedos pousse son nouvel ami à « monter sur scène » ce que fera ce dernier, doué d’une plume incomparable mais qui malheureusement partira trop tôt pour confirmer cette aventure sur scène….
Mais dans toutes les mémoires, il reste Simon, le sympathique médecin, étouffé par son encombrante mère Juive, interprétée par Marthe Villalonga (qui n’a pourtant que deux ans de plus que lui) dans le dytique d’Yves Robert : « Un éléphant, ça trompe énormément » et « nous irons tous au Paradis » dans lesquels il partage l’affiche avec ses copains : Rochefort, Lanoux et Brasseur…….Succès critique et commercial avec des scènes cultes restées dans toutes les mémoires...
Après une longue et riche carrière, Guy Bedos décide de se ranger des voitures (qu’il n’a jamais conduit) en 2013. Il fait ses adieux à l’Olympia, lieu mythique pour bon nombre d’artistes où souvent on débute sa carrière en « première partie » et où on l’achève pour y faire des « adieux » (en espérant bien sûr mourir sur scène comme Molière).
Il peut être rassuré : la relève est assurée : son fils Nicolas, issu de son mariage avec sa dernière femme, Joelle Bercot, outre la ressemblance frappante avec son géniteur a su se faire un prénom, se révélant un auteur et metteur en scène de talent ainsi que sa sœur Victoria, scénariste confirmée sont ses grandes fiertés….
Sa fille aînée, Leslie, moins connue du grand public car elle ne cherche pas la lumière s’est cependant fait connaitre en travaillant beaucoup avec des grands noms de la radio : José Artur ou encore Claude Villers….
Progressivement, Guy Bedos va se faire plus rare dans les médias. Son passage dans l’émission de Laurent Ruquier et Catherine Barma « On n’est pas couché » où il présente son livre de souvenirs « je me souviendrai de tout » a une résonnance toute bizarre aujourd’hui que l’on connait les causes de sa disparition….
L’artiste a donc tiré sa révérence et le monde du spectacle, actuellement en « relâche » pour cause de déconfinement progressif lui a rendu un dernier hommage à Saint Germain des Prés. L’homme Bedos n’aimait pas la religion mais appréciait l’apaisante atmosphère des églises, souvenir de ses années « enfant de chœur » où il ne croyait déjà pas au ciel mais voyait la « messe » comme une scène de théâtre. Ah, vocation précoce….
L’enfant débarqué d’Algérie a choisi de reposer dans le village de Lumio, non loin de Calvi au cœur de la Corse, , où comme beaucoup d’artistes il avait une résidence secondaire et dont les paysages lui rappelaient sa terre natale….
A moins qu’il ne préfère découvrir au « Paradis » la place « chauffée » par ses vieux potes déjà là-haut et de pouvoir passer avec eux un beau moment de retrouvailles et surtout de déconnade, comme lui aurait certainement suggérer Monsieur Ramirez….
Jeudi 18 janvier 2019, Cinémathèque Française
Ce jour-là, le prestigieux temple de la cinéphilie Française rendait hommage à Agnès Varda, 90 ans dont plus de 65 au service du 7 -ème art. L’organisateur de la rencontre et patron des lieux, Frédéric Bonnaud avait invité la réalisatrice à l’occasion de la projection de son troisième long métrage réalisé en 1963 : « Le Bonheur » qui obtint d’ailleurs le Prix Louis Delluc l’année suivante…
Face à un public dont une grande partie n’était pas née lors de la sortie du film, la réalisatrice toujours alerte, vaillant petit bout de femme à la coiffure étrange et à l’œil toujours malicieux parle de la genèse de ce joli film dont le propos immoral qui fit scandale lors de sa sortie sans pourtant avoir rencontré un grand succès public….
La cinéaste qui a reçu l’année en 2018, un oscar à Hollywood pour l’ensemble de sa carrière n’est pas insensible aux honneurs qui en font une des grandes figures du 7 -ème art mondial même si les spectateurs n’ont pas toujours été très nombreux pour voir ses œuvres….
« J’ai accepté de venir quand j’ai su que Jean-Claude acceptait d’être à mes côtés pour parler du film. »dit-elle , car il est effectivement là, celui qui fut l’acteur principal du « Bonheur ». Le beau gosse de 1963 à aujourd’hui 80 ans et pris de l’embonpoint mais il conserve le même œil amusé par l’hommage que leur rend ce jeune public cinéphile. Il s’appelle Jean-Claude Drouot, c’est un immense acteur de théâtre, de la race des « artisans du spectacle », des francs-tireurs qui préfèrent l’ambiance de la troupe à celle des paillettes….
Pourtant, quand Agnès Varda vient lui proposer de jouer le rôle principal du film, l’acteur est devenu une véritable star, voire une icône nationale (bien qu’il soit de nationalité Belge) en endossant le personnage d’un Hobereau Solognot rebelle : Thierry de Janville, dit « Thierry la Fronde » dans le feuilleton éponyme que l’on doit à Jean-Claude Deret, le père de Zabou Breitman.
Un an plus tôt, le comédien, formé dans sa Belgique natale et « descendu » à Paris pour suivre la formation du Cours Dullin était un parfait inconnu qui courrait les castings et qui vivait avec sa famille à la campagne à Evry-Petit-Bourg (Seine et Oise, aujourd’hui Essonne), où aucun découvreur de talents n’aurait eu l’idée d’aller le dénicher….
C’est en se rendant justement à un casting organisé par la télévision française lors de l’émission « au-delà de l’écran » qu’il sera choisi bien qu’il ne corresponde en rien au portrait-robot du personnage mais un « petit plus » lui a permis d’être sélectionné pour le rôle.
Puis tout s’emballe très vite, le feuilleton connait un succès phénoménal (à une époque où l’étrange lucarne est loin d’occuper la majorité des foyers) et l’acteur fait la « une » de très nombreuses couvertures de magazines et journaux…, les enfants jouent à « Thierry la Fronde » dans les cours de récréation et cassent de nombreux carreaux en tentant d’imiter leur héros.
Des produits dérivés (décalcomanies, statuettes, disques) sont édités d’ailleurs sans l’aval des intéressés. Une véritable frénésie, à tel point que le président du syndicat des acteurs, Jean-Paul Belmondo prédit à propos de l’acteur : « Il ne s’en remettra pas » Même le Général de Gaulle est un inconditionnel. Il lance souvent cette boutade quand des manifestations se déroulent à travers la France : « je vais leur envoyer Thierry la Fronde ».
Agnès Varda a vu le feuilleton et n’hésite pas à lui proposer un rôle qui va « casser son image » de gendre idéal pour s’engouffrer dans celui du « jeune menuisier, père de famille attentionné qui aime sa femme mais qui tombe amoureux d’une autre, une très jolie postière et qui est persuadé que l’amour à trois est possible sans laisser de dégâts ».
L’image de marque de la première grande star de la Télévision Française risque d’en prendre un sérieux coup d’autant qu’il va jouer ce contre-emploi avec sa propre femme et ses deux premiers enfants ! Mais il accepte ce rôle ambigu, mettant en concurrence sa femme Claire, actrice improvisée et Marie-France Boyer sous la caméra malicieuse d’Agnès Varda. Le film est tourné à Fontenay-Aux-Roses qui a alors des allures de village et dans le Bois de Verrières tout proche……
Jean-Claude Drouot accepte ce beau et difficile rôle, mais Thierry la Fronde est prêt à relever tous les défis, il a découvert la réalisatrice dans son précédent long métrage : « Cléo de Cinq à Sept » qui narre la journée d’une vedette de la chanson Yéyé, un peu capricieuse, qui tue le temps en errant dans les rues de Paris en attendant ses résultats d’analyse avec la crainte d’avoir un cancer….
Le film est tourné en Noir et Blanc, ne dure qu’une heure et demie (et non deux comme le laisse supposer malicieusement le titre du film) avec comme interprète principale, Corinne Marchand, une actrice et chanteuse d’une beauté sidérante qui crève littéralement l’écran mais qui ne retrouvera jamais par la suite un rôle aussi intense.
Agnès Varda promène sa caméra à travers les rues de la Capitale ou chez sa starlette, avec son lot de soupirants, « l’amant surbooké » interprété par le Grand d’Espagne, José Luis de Villalonga, le pianiste Michel Legrand qui veut vendre sa nouvelle mélodie à sa muse accompagné du parolier Serge Korber, futur réalisateur ou bien les passants d’un Paris populaire qui contemple la Bellissime Cléo sans oublier la participation d’amis de la Nouvelle Vague dont notamment un Jean-Luc Godard irrésistible qui ne porte pas ses lunettes noires étant grimé en Buster Keaton accompagné de sa muse et épouse de l’époque, la belle Anna Karina ou encore de Jacques Demy qui fait une apparition à la Hitchcock en sortant d’un garage….
Mais Cléo rencontre au hasard de ses flâneries, un sympathique bidasse en permission qui doit regagner son régiment en Algérie et qui est interprété par Antoine Bourseiller (futur grand metteur en scène de Théâtre qui a eu une relation avec la réalisatrice dont il aura une fille, Rosalie mais qu’il ne reconnaitra pas et qui sera adoptée par Jacques Demy, ndlr) et qui donne du baume au cœur à la belle chanteuse, débouchant sur une jolie histoire platonique sans lendemain……
Agnès Varda filme Paris comme une succession de villages. Celui où elle élira domicile dans le mitant des années 50 se situe dans le 14 -ème arrondissement, rue Daguerre (encore un clin d’œil d’une photographe de formation) : une maison rose non pas adossée à la colline mais bien insérée dans ce quartier commerçant et populaire et dont elle restera fidèle jusqu’à son dernier souffle, devenant même une figure incontournable des lieux qu’elle ne manquera pas de filmer au gré de sa fantaisie notamment dans son documentaire « Daguerréotypes » (1975) où les habitants et les commerçants du quartier jouent les acteurs pour la circonstance…
Très attachée à cet esprit de village voire des quartiers considérés comme des lieux de mémoire qu’il est toujours délicieux d’arpenter, la cinéaste en a fait la clé de voûte de son œuvre cinématographique : dès son premier film : « la Pointe Courte » (1956), un long métrage tourné dans un quartier de Sète (Hérault) où la néo-réalisatrice a passé une partie de son enfance ……
Les deux interprètes principaux sont la tragédienne Sylvia Montfort, et un jeune acteur débutant et prometteur, Philippe Noiret qui fait partie de la prestigieuse équipe du TNP, aux côtés de Gérard Philipe, Maria Casarès, Georges Wilson, Jean Topart ou Daniel Sorano….
Le film raconte l’histoire de deux amants au bord de la rupture qui tentent de faire le point sur leur union tout en allant à la rencontre des habitants du quartier « les Pointus » qui deviennent des acteurs improvisés pour la circonstance….
Ces mêmes « Pointus » seront de nouveau à l’honneur quarante plus tard dans « Les Plages d’Agnès » (2008), œuvre autobiographique majeure qui sera d’ailleurs rediffusée lors de la disparition de la réalisatrice en 2019…
C’est en 1940, peu après l’Exode que la future réalisatrice qui s’appelle alors Arlette et qui est âgée de 12 ans débarque avec ses parents dans ce port de pêche de la Côte Languedocienne, venant de Bruxelles, d’un père Grec et d’une mère Française. L’idée de ce prénom viendrait de la ville d’Arles où elle aurait été conçue, mais elle le troquera rapidement en Agnès, en hommage aux origines grecques de son géniteur…
Sète : une ville languedocienne qui peut s’enorgueillir d’avoir vu naître plusieurs enfants illustres : tout d’abord, Paul Valéry, figure intellectuelle incontournable de la première moitié du XX -ème siècle mais également Georges Brassens ou encore un certain Jean Vilar, créateur du TNP et du festival d’Avignon….
La jeune Agnès est une adolescente rebelle et qui ne tarde pas à fuguer, trop éprise de liberté…Après son baccalauréat, elle fait l’Ecole des Beaux-arts et l’Ecole du Louvre et choisit de devenir Photographe, bien loin des studios de cinéma…
Tout comme son illustre prédécesseur, Robert Doisneau, embauché chez Renault, elle devient Photographe d’entreprise à…la SNCF…mais rapidement elle va approcher le milieu du spectacle grâce à une relation Sétoise, Andrée Vilar qui n’est autre que l’épouse du chantre du Théâtre Populaire. En 1948, elle va devenir photographe du TNP et de celui d’Avignon…la grande aventure va vraiment commencer….
De photographe attitrée de Vilar et de son illustre troupe, Agnès Varda va venir un peu par hasard au Cinéma, sans formation initiale, ni sans avoir été l’assistante d’un quelconque réalisateur et apprendra tout sur le tas (elle est cependant épaulée par Henri Colpi et Alain Resnais pour la réalisation de « la Pointe courte »).
A la fin de ces années cinquante, ce sera bien sûr l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes dont un grand nombre sont issus des « ciné-clubs » et qui ont trempé leur plume dans un encrier au vitriol dans les colonnes de « positif » ou des « cahiers du cinéma », il s’appelle Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jacques Rivette ou encore Claude Chabrol. Ils n’ont pas trente ans et fustigent le « cinéma de papa », pompeux, commercial et académique. Agnès Varda se joint à ce mouvement de jeunes « turcs » qui rapidement va dépasser le simple cadre de notre hexagone……
Elle va alors croiser la route de Jacques Demy dès 1958 lors d’un festival de cinéma organisé à Tours, le Nantais alors âgé de 27 ans pour ne plus la quitter jusqu’à la disparition de celui-ci en 1990. DEMY et VARDA, un duo indissociable, unis derrière la caméra comme dans la vie.
Le futur réalisateur de « Lola » et des « Parapluies de Cherbourg » s’installe chez Agnès Varda dans sa maison rose de la Rue Daguerre, où cette dernière a établi son quartier général, notamment sa maison de production « Tamaris » qui deviendra plus tard « Ciné-Tamaris » et qui existe toujours, gardien du patrimoine cinématographique du tandem….
Outre la maison parisienne, le couple aura un deuxième point d’ancrage à Noirmoutier (Vendée) non loin de la terre natale de Jacques Demy et où la réalisatrice tournera quelques scènes dans son deuxième long métrage « Les Créatures » avec Michel Piccoli et Catherine Deneuve (sorti en 1966).
En 1963, la vie du couple connaît un bouleversement avec le tournage des « Parapluies de Cherbourg », projet initialement autant fou qu’audacieux au vu de son originalité : faire un film entièrement chanté est une entreprise risquée et difficile à monter financièrement, c’est le pari que va réussir non sans mal la productrice Mag Bodard. Le film est tourné dans la principale ville du Cotentin et révèlera entre autres Catherine Deneuve (même si celle-ci est « doublée » par Danièle Licari), cette dernière retrouvera d’ailleurs Jacques Demy en 1970 dans « Peau d’Ane ».
Le film reçoit la palme d’Or du Festival de Cannes 1964 ainsi que le Prix Louis Delluc 1963 (un an avant « Le Bonheur ») et va rencontrer un succès critique et public considérable non seulement en France mais dans le monde entier. La musique de Michel Legrand contribuera beaucoup au succès du film comme pour « Les Demoiselles de Rochefort » tourné deux ans plus tard par le même réalisateur, avec toujours Catherine Deneuve et sa sœur Françoise Dorléac, actrice prometteuse qui disparaitra tragiquement dans un accident de voiture en juin 1967).
Ce succès international va ouvrir la voie de l’Amérique à Jacques Demy et à son épouse : en 1967, ils atterrissent à Los Angeles, le premier va y tourner « Model Shop » et la seconde un film sur le mouvement hippie « Lions Love » (1968-69) narrant un huis clos entre un couple à trois de comédiens dans un milieu underground au doux parfum Warholien….
A Los Angeles, Agnès Varda fait la connaissance d’un ancien étudiant en cinéma à l’UCLA et qu’elle veut faire jouer dans le film, il s’agit de Jim Morrison, futur chanteur et parolier du mythique groupe « Les Doors ». Lorsque celui-ci s’installera à Paris en 1971, elle tissera avec lui de grands moments d’amitié jusqu’à accompagner l’auteur de « The End » jusqu’à sa dernière demeure au Père-Lachaise……La cinéaste reviendra aux Etats-Unis en 1980 pour tourner un documentaire sur les peintures murales qui fleurissent à travers les rues de la « Cité des Anges » : « Murs, murs ».
Après la « Nouvelle Vague » et la période américaine succèdent l’esquisse d’un combat féministe : la cinéaste signe avec d’autres célébrités ou anonymes, l’appel des « 343 » publié dans les colonnes du « Nouvel Observateur » en 1971 qui compte bien réveiller les consciences sur la levée de l’interdiction de l’avortement (que la plupart des consignatrices confessent avoir pratiqué clandestinement).
Elle réalisera « L’une chante, l’autre pas » (1976) avec Thérèse Liotard et la toute jeune Valérie Mairesse qui raconte le parcours compliqué de deux femmes liées par une grande amitié : l’une est chanteuse dans un groupe, l’autre est une mère de famille veuve et, qui après une longue période de précarité trouve un travail au Planning Familial. Elle se sont rencontrées en 1962, se sont perdues de vue puis se retrouvent pour participer au combat Féministe qui connait son âge d’or au milieu des années 70….
Plus tard, Agnès Varda met en scène le destin fracassé d’une SDF, Mona, interprété magistralement par Sandrine Bonnaire dans « Sans toit, ni loi » (1985). La jeune actrice, issue d’une famille nombreuse de la Grande Borne a vu son destin bouleversé grâce à Maurice Pialat qui l’a sélectionné au cours d’un casting pour interpréter le rôle principal de « A nos amours » (1983) qui relate les aventures sentimentales de Suzanne, une adolescente émancipée. Le film obtiendra un grand succès autant critique que public et qui permettra à l’actrice d’obtenir la consécration en obtenant le César du meilleur espoir féminin. Dans ce « road movie » d’une jeune marginale à travers la France, l’actrice campe un personnage aux fêlures multiples et qui connait un destin fatal, souvent promis aux sans domicile fixe…Lion d’Or à la Mostra de Venise, ce beau long-métrage reste à ce jour le plus grand succès commercial de la réalisatrice.
Peu de temps après, Agnès Varda réalisera une forme de « film biographique » avant la lettre avec « Jane B par Agnès V » (1987), film mi documentaire-mi fiction sur l’ancienne égérie de Serge Gainsbourg, l’actrice et chanteuse Jane Birkin et qui sera également interprété également par Jean-Pierre Léaud et Alain Souchon et avec la participation de réalisatrice…
Cette dernière optera pour le même genre de « biopic » en réalisant « Jacquot de Nantes » (1991), hommage posthume à son complice et compagnon, Jacques Demy, disparu en 1990. Ce dernier, déjà très malade espérait réaliser ce long métrage sur son enfance dans la métropole Bretonne, dans laquelle son père tenait un garage mais trop affaibli, il préférera lui laisser les rênes de la réalisation avant de disparaître à 59 ans d’une cruelle maladie : le SIDA, mais dont la cause fut occultée à l’époque, à la demande du réalisateur lui-même et que son épouse ne révélera que plusieurs années après…
De leur union était né l’acteur Matthieu Demy (né en 1972) devenu acteur dès le plus jeune âge : il joue d’ailleurs dans « l’Une chante, l’autre pas » ou encore « Documenteurs » ou « Kung fu Master ».
Agnès Varda aura donc exploré tous les espaces cinématographiques possibles : de la fiction au documentaire. Ce dernier genre qui trouve toute sa force avec « Les Glaneurs et la Glaneuse » (2000), évocation de ces glaneurs qui ratissent les champs de notre Hexagone après les récoltes à peine terminées afin d’y trouver des restes mangeables. Tourné dans toutes les campagnes de France, dont celle de la Beauce, en Eure et Loir et dans la Région d’Etampes, notamment….
Cinéaste à l’aura international, tout en étant restée jusqu’à son dernier souffle une noble artisane du 7 -ème art, sans y avoir été destinée au départ, la petite dame tranquille de la Rue Daguerre a joué dans tous les compartiments : photographe, scénariste, monteuse, actrice, infatigable exploratrice de la technique cinématographique, fidèle à ses lieux d’ancrage : Paris, Noirmoutier, Sète ou encore Los Angeles, elle a donc fini par rejoindre un soir de Mars 2019, son Jacquot de Nantes, le complice des jours heureux d’un cinéma de qualité gravé à jamais dans les mémoires…..