Gare d'Etréchy au début du XXème siècle...
Acte 1 :
La construction des grandes lignes
Le chemin de fer a vu le jour au Royaume Uni au XVIIe siècle, pour le transport du charbon d’une mine vers un canal de chargement, mais la traction était alors assurée par des animaux. Cette technique était déjà utilisée depuis longtemps de manière primitive.
La première ligne ouverte au public fut aussi en Angleterre, dans le Surrey en 1802, toujours à traction animale.
Il faut attendre 1825 pour voir apparaître, toujours dans le même pays, le premier train tracté par une locomotive (la n°1 de Stephenson) et transportant des voyageurs.
Et sur le continent ?
Il faut attendre 1827 pour voir la première voie de chemin de fer, pour les mines de Saint Etienne (Loire), les trains tirés par des chevaux.
Cependant, un engouement certain pour ce nouveau type de transport a vu le jour en France, comme en Europe continentale. De nombreux projets sont montés, des fonds souvent privés sont levés et des compagnies ferroviaires voient le jour (en 1859, une convention avec l’état définit 6 grandes compagnies). Mais les délais sont très longs entre le début des études et la circulation du premier train ! Tracés souvent contestés, financement et accord avec l’état (qui définit les tracés), expropriations, construction, essais : toutes ces étapes prennent du temps et sous souvent sources d’imprévus.
La première ligne aboutissant à Paris relie la capitale au Pecq en 1837, c’est la première en France destinée au trafic voyageurs.
En Essonne
A cette époque, notre département n’est encore que la partie sud de la Seine et Oise. La proximité de la capitale va favoriser le développement de ce nouveau moyen de déplacement.
En 1829, donc bien avant l’achèvement de la voie ferrée Paris- Le Pecq, une étude (privée) est lancée pour relier Paris à Orléans par le train. Une première partie de la ligne sera ouverte en 1840, de Paris Austerlitz (embarcadère place Valhubert ; la gare telle que nous la connaissons est plus tardive) à Juvisy.
Dans le même temps, Juvisy est reliée à Corbeil. Le but de cet embranchement était notamment d’acheminer les produits des grands moulins de Corbeil, alors en pleine activité.
Juvisy prend de l’importance : Une gare de marchandise distincte ouvre en 1864. Elle devient, en 1885, une gare de triage pour relayer la capitale dont les équipements sont insuffisants. Juvisy est considérée, pour quelques années comme la plus grande gare du monde !
Le prolongement jusqu'à La Ferté-Alais et Maisse, long de trente-trois kilomètres, ouvre le 5 janvier 1865. Cette section comporte les nouvelles gares de Mennecy, Ballancourt, la Ferté-Alais, Boutigny et Maisse.
La ligne Paris – Orléans via Juvisy, Brétigny et Etampes est achevée en 1843. C’est la compagnie de chemin de fer Paris – Orléans qui assure l’exploitation.
Il est à noter que pour la première section, de Paris à Orléans, les partisans de plusieurs tracés s'affrontèrent. Malgré le détour qu'il représentait par rapport à un tracé direct, le tracé par Versailles eut d'abord les faveurs de l'administration des Ponts et Chaussées, mais l'absence de localité importante entre Versailles et Orléans conduisit à son abandon. On préféra donc un tracé proche de celui de la route nationale 20, passant notamment par Étampes
Entre temps, en 1842, le gouvernement décide de l’établissement d’un réseau en étoile autour de Paris, qui reprend le maillage jacobin des routes issu de la Révolution. C’est « l’étoile Legrand ».
Tout s’accélère : la première partie de la ligne Paris – Lyon ouvre en 1849 jusqu’à Tonnerre et traverse notre actuel département vers Yerres et Brunoy. Elle sera exploitée par la célèbre compagnie PLM, créée en 1852.
En 1846 est inaugurée la ligne de Sceaux, cette gare étant son terminus. La ligne sera prolongée jusqu’à Limours en 1867.
En 1865, c’est l’inauguration de la ligne Brétigny – Vendôme, passant par Arpajon, Breuillet, Saint Chéron, Dourdan. Cette ligne, qui doit relier Tours, sera achevée en 1867. Au départ, la desserte principale de Tours devait être assurée via la ligne Sceaux – Limours, avec une voie allant de Limours à Dourdan, puis un tracé reprenant la ligne via Vendôme. Des difficultés techniques entre Limours et Dourdan ainsi que des questions de concurrence puis de rachats de lignes entre sociétés ont fait que la compagnie Paris-Orléans a privilégié la ligne qui existe encore actuellement. La ligne sera mise en double voie en 1901.
En 1857, la création du pont d’Athis permet la jonction entre Villeneuve Saint Georges et Juvisy, déjà un nœud ferroviaire important. Corbeil pourra dorénavant être desservie à partir de la gare de Lyon, ouverte en 1847.
La guerre de 1870 va avoir des conséquences sur les chemins de fer, avant tout pour le transport plus rapide des troupes et du matériel (le pont d’Athis sera provisoirement détruit pour ne pas que l’armée prussienne puisse utiliser les lignes pendant le siège de Paris).
Le gouvernement, sur proposition de l’armée, décidera de la construction d’une ligne mettant en relation les différents réseaux, chacun ayant alors son terminus à Paris dans des gares séparées. C’est ainsi qu’est née la voie de grande ceinture, qui dans sa partie sud relie Choisy le Roi à Massy via l’ancienne gare de Wissous. Elle est mise en service en 1886.
Cette portion est encore en service, pour une branche du RER C et pour certains TGV Province – province.
La ligne de Corbeil-(Essonnes) à Montereau est mise en service en 1897. Elle permet notamment de délester la ligne principale du PLM, déjà très chargée, et d’offrir une solution de secours vers Lyon en cas de problème sur la ligne principale. Les gares de Villabé et du Coudray-Montceaux sont construites.
Une ligne a posé quelques problèmes, qui ont ralenti sa construction : celle qui reliait Etampes à Beaune la Rolande (Loiret) via Pithiviers. Le contexte était le suivant : Méréville, chef-lieu de canton et important centre agricole (cressonnières) enclavé dans la haute vallée de la Juine n’avait pas de desserte ferroviaire. Depuis 1846, se rendre dans cette ville nécessitait un arrêt à la gare de Monnerville (ligne Paris-Orléans), puis 8 km en omnibus à cheval … peu pratique ! De plus, une desserte facile de Pithiviers et Sermaises vers Paris semblait très utile.
Une première voie ferrée fut envisagée par la vallée de l’Eclimont, en 1893, mais l’étude provoqua un tollé car le train devait passer à 2 km de Saclas et 8 de Méréville. Un nouveau tracé fut étudié et adopté en 1895; les communes proposèrent de payer les suppléments dus à cette nouvelle étude. La voie ferrée fut inaugurée en 1905.
Cette ligne, décidée en 1884, devait permettre de relier Etampes à Bourges, dans le cadre d’un projet Narbonne – Paris en vue d’acheminer vers la capitale les vins du Midi. Elle sera un temps connue sous le surnom de « ligne du vin ». Il fallait six heures pour aller d’Etampes à Bourges.
Dernière ligne à problème : la ligne de Paris à Chartres via Gallardon. Cette ligne, peu justifiable sur le plan économique car doublant une voie préexistante, fut décidée pour des raisons politiques, volonté de députés de l’Ouest de la France (Poitou, Vendée) et une « guerre » entre compagnies ferroviaires. Décidée en 1879, elle ne fut reconnue d’utilité publique qu’en 1903. La construction fut chaotique, à la suite de nombreux changements de tracés et à une interruption due à la guerre de 1914-1918, Limours ne fut atteinte qu’en 1922 en venant de Chartres, et la mise en service entre Chartres et Massy Palaiseau eut lieu en … 1930 ! La ligne ne fut exploitée que jusqu’en 1939, mais côté parisien, elle ne dépassa jamais Chatenay Malabry.
D’autres lignes, secondaires celles-là, telles qu’Etampes – Chartres ou l’Arpajonnais furent décidées suite au plan Freycinet, dont nous parlerons dans le prochain chapitre.
Dernier grand évènement du tournant du siècle : en 1898, la compagnie Paris – Orléans décide le prolongement de la ligne jusqu’à la nouvelle gare d’Orsay, après un tunnel depuis la gare d’Austerlitz de 3 km. La traction électrique y est inaugurée en 1900. Le but est de délester l’important trafic de la gare d’Austerlitz, cette dernière étant en outre jugée trop excentrée par rapport au centre parisien.
Le matériel
Il convient de distinguer le matériel roulant et le matériel fixe.
Le matériel roulant :
Les premières motrices, proches du modèle de Stephenson, étaient rudimentaires et peu puissantes. Chauffeur et mécanicien ne bénéficiaient d’aucune protection contre le vent et les intempéries … dur métier ! Heureusement, les locomotives évoluèrent assez rapidement, à la fin du XIXe siècle, notamment pour les lignes principales. Leur taille, leur puissance et les conditions de travail (même si elles restèrent très dures) s’améliorèrent fortement durant ce siècle. Au tout début du XXe siècle, les différentes compagnies mirent en service les célèbres Pacific 231 chères à Arthur Honegger.
Au niveau des voitures voyageurs, deux classes sont proposées au début : une première classe « confort », une seconde plus modeste. Une troisième classe fait son apparition en 1842, moins chère mais d’un environnement spartiate : des « tombereaux » à ciel ouvert, dotés de banquettes en bois. Devant les protestations des passagers soumis aux intempéries et aux escarbilles de charbon, un toit est ajouté par la suite.
Les premières voitures, montées sur essieux, ressemblaient fort aux diligences ; d’ailleurs, pendant plusieurs années, un système fut conçu pour charger les cabines des diligences en provenance de Bordeaux sur des plateformes ferroviaires, à Orléans, pour assurer la continuité du voyage vers Paris.
Il faudra aussi attendre la fin du XIXe siècle pour que les voitures soient éclairées et chauffées … même en première classe !
Les premières voitures souffrirent d’un certain manque de fiabilité, déraillements et rupture des attaches causèrent des accidents, parfois dramatiques tels celui survenu en 1917 à Massy.
17 janvier 1917 - Vers 11 heures 20, sur la ligne de Grande Ceinture, un train transportant plus de 1600 permissionnaires anglais allant du Havre à Marseille vient de s'arrêter en gare de Massy-Palaiseau lorsque ses dernières voitures, perdues quelque temps auparavant dans une légère rampe à la suite d'une rupture d'attelage, le percutent après avoir passé le sommet et repris de la vitesse dans la pente suivante. Deux voitures sont disloquées. On en tirera quatorze morts et une quarantaine de blessés.
14 novembre 1910 - Au matin, sur la ligne Paris-Orléans, peu avant Étampes, près de Guillerval, un train de marchandises venant d'Orléans déraille à la suite de l'affaissement du remblai sous l'effet de la pluie. Le conducteur du fourgon de queue est tué.
L’ingénieur Jean-Claude-Républicain Arnoux (1792-1866) mit au point le premier train articulé, pour la ligne de Sceaux – Limours. Celle-ci comportait des courbes serrées, et un écartement non standard, plus large, lors de sa construction. Le train articulé permettait une meilleure circulation sur tout type de voie. Il fut mis en service en 1846. Mais l’apparition des bogies (couplage des essieux) et la mise en voie normale de la ligne, en 1891 sonnèrent le glas de ce procédé.
Les infrastructures
Les constructions connurent un essor considérable au XIXe siècle, grâce au chemin de fer : voies, ballasts (et donc carrières et travail du bois pour les traverses), ouvrages d’art, mais aussi nombreuses gares de toutes tailles, qui remplacèrent les embarcadères. Il y avait la gare proprement dite, mais dans les centres importants une rotonde pour garer les motrices, avec une plaque tournante, des manches à eau pour approvisionner ces mêmes motrices. Et n’oublions pas les nombreux passages à niveau, leurs barrières et maisons de garde-barrières.
La signalisation était un point faible. Composée le plus souvent de carrés se tournant au passage d’un train, parfois déficiente, et remplacée alors par un employé muni d’un drapeau, parfois difficile à voir par les conducteurs de train en cas d’intempéries, elle fut la cause d’accidents parfois dramatiques.
A Etréchy, en 1843, un train à l’arrêt fut percuté par le train de secours (erreur d’un employé muni d’un drapeau devant signaler la présence de ce train en panne). On ne déplora que quelques blessés légers.
Par contre, l’accident du 6 Août 1899 à Juvisy fut dramatique : à 22 h, durant un violent orage, un train pour Le Croisic arrêté à un signal fermé a été percuté par celui qui le suivait à cinq minutes d'intervalle. Le conducteur du second train ne pouvait pas voir le signal indiquant l’occupation de la voie. L’accident fit 17 morts.
La principale conséquence de cet accident fut le quadruplement de cette ligne surchargée de Paris à Brétigny en 1904, puis jusqu’à Etampes en 1910. Pour l’anecdote, il est dit qu’à hauteur de Lardy, la ligne fut lors des travaux légèrement déviée pour éviter la localement célèbre « Roche qui tourne », objet de traditions populaires.
La gare d’Etampes eut l’honneur, au XIXe siècle, de voir s’ouvrir le premier buffet de gare français. Les attentes, correspondances et arrêts techniques étaient parfois longs !
Au niveau humain
Extrait du journal "Le Temps".
Comme dans toute la France, l’arrivée du chemin de fer a provoqué des mutations considérables au niveau de la population de notre région.
Des discussions, oppositions et controverses enflammées s’organisèrent à différents niveaux de la société : expropriations, tracé des lignes et dessertes ou non dessertes, bruit et pollution face à la volonté de progrès, de mobilité alimentèrent les débats tant dans les cafés, les lavoirs qu’au niveau politique.
L’arrivée du chemin de fer entraîna par endroits une intense urbanisation, souvent sous forme de lotissements, comme par exemple la partie basse de Sainte Geneviève des Bois, près de la gare du « Perray Vaucluse » (nom de l’époque). Le nord de l’Essonne commença alors à se banlieusardiser. Evidemment, les allers retours quotidiens vers Paris n’avaient rien à voir avec ce qu’ils sont actuellement, mais le train connut un engouement qui dépassa les prévisions : dès 1841, la fréquentation annuelle de la ligne Paris Corbeil via Juvisy atteignit 866 000 voyageurs, alors que les prévisions tablaient sur 540 000.
Dans des campagnes surpeuplées, où les familles nombreuses avaient souvent trop de bouches à nourrir, les travaux difficiles et aléatoires comme en Beauce, le train fut un vecteur d’exode rural vers la grande ville et ses industries, qui offraient de l’emploi tout en restant assez près des familles restées au pays.
Les flux économiques évoluèrent ; certaines entreprises comme les grands moulins Darblay de Corbeil en tirèrent grandement parti. Les produits maraîchers furent plus facilement acheminés vers Paris, d’où un développement de cette activité.
La construction des chemins de fer puis leur gestion furent source de création de nombreux emplois dans les secteurs des travaux publics, de la construction mais aussi des carrières, du bucheronnage, qui permirent de réduire le chômage en des périodes pendant lesquelles les crises économiques se succédèrent (sous la troisième république notamment).
La gestion au sens large des chemins de fer mit en place un nouveau secteur d’emploi, très corporatiste, celui des cheminots. Les emplois étaient nombreux et très diversifiés : personnel roulant –mécaniciens, chauffeurs, agents de trains – mais aussi fixes –gestionnaires, employés de gare, d’entretien, de maintenance, aiguilleurs, garde-barrières, etc.- solidaires et à la pointe du mouvement syndical naissant et des progrès sociaux. Emile Zola le décrit dans son roman « la bête humaine ». Pour loger sur place les employés de la gare de triage de Juvisy, ouverte en 1885, la compagnie du chemin de fer Paris-Orléans crée, à Athis-Mons, le premier d'une longue série de lotissements cheminots.
Une anecdote pour finir : une autre corporation tira parti de l’arrivée du train, celle des truands, en témoigne l’attaque du train acheminant notamment des caisses d’argent, dans la nuit du 21 au 22 décembre 1907 entre Etampes et Etréchy. L’attaque violente fit plusieurs blessés. Le rapprochement fut établi avec une attaque semblable à Saint Michel sur Orge en octobre de la même année. Arrêtés un peu plus tard, les organisateurs furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité.
Les grandes lignes en place, un réseau secondaire fut étudié. Ce sera l’objet de la prochaine partie de l’histoire.
Extrait du journal "Le Matin".