Après les destructions de la première guerre mondiale et la reconstruction des voies ferrées de l’Est et du Nord de la France, le train connut son apogée durant les « années folles ». Le réseau ferré français était au maximum de son extension, la plupart des communes de quelque importance étaient desservies, les marchandises et les voyageurs sillonnaient le pays (et notre région évidemment) ; mais cette activité cachait des problèmes importants, du point de vue financier aussi bien que technique ou logistique. De grandes mutations se profilaient, criantes après la crise de 1929 et dans les années 30. La deuxième guerre mondiale allait accélérer un certain déclin.
Des compagnies privées à la SNCF
Malgré un âge d’or des transports ferroviaires, en termes d’étendue du réseau, de nombre de passagers transportés et de quantités de marchandises acheminées, les compagnies ferroviaires peinent à équilibrer leurs comptes, et sont même bien souvent déficitaires (la compagnie de l’Ouest fut assez rapidement nationalisée). Cela était vrai pour les grandes compagnies, mais la situation se révéla encore plus difficile pour les chemins de fer secondaires.
Un exemple : En 1922, la Compagnie du chemin de fer sur route de Paris à Arpajon, alors en difficultés financières comme l'ensemble des réseaux secondaires et urbains, est rachetée par le département de la Seine et par celui de la Seine-et-Oise qui en confient l'exploitation à la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP), ancêtre de la RATP.
La crise économique qui débuta en 1929 accentua fortement les problèmes de tous ordres (baisse des chargements et déplacements, gros problèmes financiers des compagnies impactant la maintenance et la modernisation du réseau).
Pour des raisons politiques, stratégiques et économiques, le gouvernement décida en 1937 de nationaliser les grandes compagnies de chemins de fer (avec effet en 1938). Ce fut la création de la SNCF. Cette nationalisation entraîna une rationalisation du réseau … et la fermeture de plusieurs lignes dans notre région, comme nous allons le voir.
Il faut dire que le développement du transport routier, plus souple, plus économique au niveau des infrastructures (même si un réseau routier moderne était à construire et à équiper) s’avéra plus rentable. Automobiles (même s’il y en avait moins que de nos jours), autocars, camions furent les témoins de la politique pro route française.
L’évolution du réseau
Peu de lignes furent ouvertes entre les deux guerres mondiales, mais des chantiers en cours furent achevés.
A partir de 1916, une gare de triage fut établie à Brétigny, pour soulager en partie celle de Juvisy. Cette gare disposait déjà de nombreuses voies de garage depuis 1913.
À la fin de la première Guerre mondiale en 1918, la pénurie en acier était telle qu'on décida de déposer l'une des deux voies entre Chartres et Saint-Arnoult. Cependant, la construction de la dernière section reprit, à voie unique cette fois-ci. Rochefort-en-Yvelines fut atteint en 1921 et Limours en 1922. La ligne finit par ouvrir entre Chartres et Massy - Palaiseau le 15 mai 1930.
La voie fut ensuite prolongée jusqu'à Châtenay-Malabry en 1931, mais la dernière section de deux kilomètres qui devait la relier au reste du réseau de l'État, de Châtenay-Malabry à Bagneux ne fut jamais construite.
La ligne secondaire de Bouville à la Ferté Alais fut ouverte au public en 1921.
Par contre, comme dit ci-dessus, des lignes, peu rentables, furent abandonnées.
La ligne d’Etampes à Auneau embranchement est fermée au trafic voyageurs le 1er Août 1939 ; il n’y a plus à ce moment que deux trains quotidiens.
Sur la ligne de Sceaux, 1939 marque l’abandon de la section de Saint Rémy les Chevreuse à Limours, remplacée par un service routier. Notons qu’en 1932, la gestion de la section de Paris à Massy fut dévolue à la CMP, future RATP, la partie sud restant gérée par la compagnie Paris – Orléans (puis plus tard par la SNCF).
La ligne de grande ceinture est aussi fermée dans les années 30 au service voyageurs, sauf sur la section de Juvisy à Versailles. La gare de Wissous ferme en 1939.
Le tramway sud de Seine et Marne, qui reliait Milly la Forêt à Melun via Chailly en Bière a vu son activité arrêtée en 1938.
L’emblématique Arpajonnais connut une histoire mouvementée : il fut électrifié de Paris à Antony dès 1910 puis d’Antony à Massy en 1930. Il fut alors doté de 2 voies sur la portion Paris – Massy. Mais ses nombreux problèmes de fiabilité et de sécurité, alliés au développement du transport routier pour les marchandises allaient sonner son glas. En 1935, la Compagnie fut mise en liquidation financière. La STCRP (ancêtre de la RATP) reprit le service jusqu'en octobre 1936, date à laquelle fut mis fin à l'exploitation totale du chemin de fer d'Arpajon. Entre temps, le 5 octobre 1936 eut lieu la fin de l'exploitation entre Antony et Longjumeau et entre Marcoussis et Montlhéry, celle-ci étant désormais assurée par des autocars avec abandon de tout service pour le transport des marchandises.
L’électrification des lignes
La première moitié du XXe siècle est une période de modernisation des grandes lignes, au niveau du matériel et des infrastructures. L’un des points principaux est l’électrification progressive des voies principales.
Cette électrification a pour conséquences une augmentation de la puissance des motrices (et donc des convois plus importants) et de la vitesse, une évolution des métiers liés au rail, mais aussi une diminution de la pollution, des fumées de charbon … pour le bonheur des riverains.
L’une des premières expériences d’électrification fut la prolongation de la ligne du Paris – Orléans de la gare d’Austerlitz à la nouvelle gare d’Orsay, via la station Pont Saint Michel. L’utilisation de motrices à vapeur était impossible dans ce tunnel de 3 kilomètres de long. L’inauguration de cette voie, électrifiée par 3ème rail, a lieu en 1900 lors de l’exposition universelle.
La ligne de Paris Austerlitz à Juvisy fut électrifiée par 3ème rail en 1904, puis ré électrifiée en 1927 par caténaire en 1 500 volts, système qui perdure jusqu’à nos jours. Entre temps, la section de Juvisy à Orléans connut les débuts de la traction électrique par caténaire 1 500 volts entre 1924 et 1926. La section de Brétigny à Dourdan eut droit au même progrès en 1924.
Pour la ligne du PLM, il faudra attendre l’après-guerre : même si le projet fut envisagé en 1923, les nombreuses études préalables firent qu’il ne fut adopté qu’en 1944.
En 1929, Paul Langevin, ministre des transports, envisagea la création d’un réseau de transport ferroviaire traversant Paris, sur le modèle des S-Bahn allemands. Ce projet sera repris des décennies plus tard pour donner naissance au RER.
Ce projet prévoit le prolongement de la ligne de Sceaux à travers Paris, ce qui est inconcevable pour des trains à vapeur. Cette ligne devait en outre être transférée de la compagnie Paris-Orléans à la Compagnie des Chemins de fer Métropolitains (qui gérait le métro). La ligne de Sceaux fut donc électrifiée de Paris à Massy-Palaiseau. Le premier train électrique circula le 16 novembre 1937. L’électrification atteignit Saint Rémy les Chevreuse en 1939. Jusqu’à sa fermeture, le tronçon Saint Rémy – Limours resta desservi par un autorail, sur voie unique.
C’est dans ce contexte, marqué par la fermeture de lignes, de rentabilisation et de modernisation que survinrent les drames de la seconde guerre mondiale.
La seconde guerre mondiale
Notre région vécut deux grands drames, au niveau ferroviaire : les déportations et les bombardements. Tout cela en plus des actions de sabotage et de la mort d’agents de la SNCF, évidemment.
Les déportations :
Des camps de transit vers les camps de concentration en Allemagne et en Autriche, furent établis à Beaune la Rolande et Pithiviers. La ligne de chemin de fer d’Etampes à Pithiviers – Beaune la Rolande vit passer les convois emmenant les déportés, principalement Juifs et résistants, vers ces camps de transit dans des conditions inhumaines.
Ce sont d’abord des prisonniers de guerre français qui y furent internés, lors de la débâcle, puis les Juifs raflés, d’abord les étrangers puis les français qui y furent concentrés, avant de repartir via la même ligne vers Drancy, Auschwitz ou Birkenau.
Six convois partirent de Pithiviers les 25 juin, 17 juillet (6e convoi), 31 juillet, 3 août et 21 septembre 1942, transportant 6 079 Juifs vers Auschwitz pour y être assassinés.
2 773 Juifs ont quitté Beaune-la-Rolande les 28 juin, 5 et 7 août, 23 septembre 1942, soit directement pour Auschwitz, en Pologne, soit pour le camp de Drancy.
Le 17 août 1942 a eu lieu la déportation en masse des enfants, en très grande majorité français, dont les parents avaient déjà été déportés (voir la rafle du Vélodrome d'Hiver). Environ 1 500 enfants du camp de transit de Beaune-la-Rolande font partie du convoi no 20 qui les achemina à Drancy dans des wagons à bestiaux.
Le camp de Beaune la Rolande fut fermé en Juillet 1943, celui de Pithiviers n’accueillit plus que les détenus politiques à partir de septembre 1942.
Le 22 juin 1944, la police allemande arrêta les résistants du réseau « Vengeance », qui furent rassemblés dans la gare de Saint Sulpice de Favières avant leur déportation. La petite ligne ferroviaire fonctionnait encore depuis 1940, pour permettre aux Parisiens de venir s’approvisionner en nourriture.
Les bombardements :
Notre région a subi de nombreux bombardements, surtout en 1944 afin de couper les voies de communication de l’occupant lors des débarquements de Normandie et de Provence.
Certains d’entre eux furent particulièrement dramatiques, faisant de nombreuses victimes aux alentours des gares.
La gare de Massy-Palaiseau, par où transitaient de nombreux convois militaires, fut bombardée et mise hors d’usage le 2 juin 1944. L’opération, qui endommagea fortement le centre de Massy, fit 80 morts et 200 blessés.
La gare d’Etampes, carrefour ferroviaire important, fut visée le 10 juin 1944 par un bombardement allié, qui de plus, toucha le quartier Saint Gilles. 141 habitants furent tués, et (estime – t-on) dix fois plus d’Allemands.
Le bombardement le plus sévère et meurtrier fut celui de la gare de Juvisy, le 18 avril 1944.
La ville de Juvisy fut durement touchée ; on dénombra officiellement 392 morts (125 à Juvisy et 287 à Athis Mons). Le bombardement, effectué de nuit, s’effectua 5 minutes seulement après l’alerte par sirène, et de nombreux habitants n’eurent pas le temps de se mettre à l’abri.
Beaucoup de personnes sont portées disparues car elles se sont réfugiées sur les bords de l’Orge et elles ont été ensevelies complètement par la vase comme par des sables mouvants. Les communes de Draveil, Vigneux-sur-Seine et Savigny-sur-Orge sont partiellement également touchées.
À Juvisy, le bombardement détruisit plus de 600 habitations dont le centre-ville qui est entièrement ravagé, ainsi que le château, où se trouvait alors la mairie, le marché et le collège Saint-Charles. Une bombe tomba également au pied du clocher de l'église Notre-Dame-de-France. À Athis-Mons, le quartier d'Athis-Val, qui était avant-guerre le quartier le plus peuplé et le plus actif de la commune, fut rasé à plus de 80 % avec plus de 4 000 sinistrés et 800 habitations ravagées.
Les dégâts matériels ferroviaires sont en effet considérables : 47,2 kilomètres de voies sont détruits, le triage est anéanti, la signalisation électrique, les circuits téléphoniques, les installations caténaires, les canalisations hydrauliques ont disparu. Les wagons sont disloqués, éventrés, empilés les uns sur les autres, souvent brûlés. Plusieurs postes d'aiguillage sont rasés. Le bureau du chef de circulation, la lampisterie, les halles de transbordement, l'atelier du service électrique, le poste de commande des sous-stations et l'entretien sont détruits. Le dépôt est lui aussi très touché. Entièrement repensé, le nouveau triage de Juvisy ne sera rouvert à une exploitation partielle qu'à partir du 1er juillet 1946. Juvisy se spécialisa alors dans le trafic accéléré de marchandises, mais sans retrouver son rôle d'avant-guerre.
D’autres bombardements ont eu lieu, parmi eux :
- En 1944, un bombardement aérien détruit des ouvrages d’art de la ligne Chartres – Ouest ceinture via Limours. Le viaduc de Palaiseau est ainsi détruit. La ligne était pourtant fermée depuis 1939, les Allemands ayant démonté une partie des rails pour les utiliser ailleurs.
- En Juillet 1944, à la hauteur de Boissy le Sec, le tacot du matin (Etampes – Arpajon) fut mitraillé, après avoir stoppé, par un chasseur américain. La motrice fut endommagée, mais le mécanicien, le chauffeur, le contrôleur et l’unique passager eurent le temps de se mettre à l’abri dans un fossé. Il est à noter que le trafic sur cette ligne fut maintenu pendant la guerre (sauf après cette attaque), pour permettre aux parisiens et banlieusards de venir se ravitailler à la campagne.
L’après-guerre
L’après-guerre est marqué par trois grands projets : reconstruction, rationalisation, modernisation.
En plusieurs lieux, un gros effort est effectué pour reconstruire ou réparer les voies et ouvrages détruits. On pense surtout aux infrastructures de Juvisy, de Massy, d’Etampes, mais aussi les conséquences des sabotages.
La rentabilité est de mise, surtout qu’au vu des dépenses de réparation à engager, des choix sont à effectuer. Comme en 1938 – 1939, les lignes secondaires cessent leur activité.
Pour la Compagnie des Chemins de Fer de Grande Banlieue :
- Etampes – Arpajon : 1er novembre 1948. Il subsiste encore quelques gares transformées en habitations.
- Bouville – La Ferté Alais : 15 novembre 1948
- Etampes – Maisse et Milly – Corbeil : 1er juillet 1949
- Maisse – Milly : 1er juillet 1953. Fermeture plus tardive, pour permettre aux Milliacois de se rendre à la gare de Maisse, reliée à Paris.
Etampes – Auneau : Neutralisation de la section centrale. Seuls quelques locotracteurs circulent près d’Etampes. La fermeture est totale en 1969.
L’activité de la gare de triage de Brétigny diminue fortement après-guerre (avec l’agrandissement de celle de Villeneuve Saint Georges). En 1955, elle retrouve un regain de trafic, mais elle périclitera dans les années 60 et ne servira plus que de garage des trains de banlieue.
La modernisation s’effectue à plusieurs niveaux :
L’électrification : commencée au début du siècle sur la ligne Paris - Orléans, elle est enfin effectuée en 1950 sur la ligne de Juvisy via Villeneuve Saint Georges, comme la ligne « principale » Paris-La Roche Migennes (via Brunoy). Les autres lignes suivront peu à peu.
Trois nouvelles gares sont ouvertes sur la ligne Corbeil – Montereau, dont une en Essonne : la gare d’Essonnes-Robinson en 1955.
Le flux ferroviaire : avec la « banlieusardisation » du nord de notre actuel département, les lotissements pavillonnaires et les grands ensembles qui sortent de terre en grand nombre, les besoins de transport vers Paris et la proche banlieue s’intensifient. La capitale monopolise encore une très grande partie des activités commerciales et industrielles et les allers – retours quotidiens de travailleurs se développent rapidement.
Les flux de et vers Paris sont privilégiés, les cadences s’accélèrent entraînant un besoin accru de matériel plus spacieux, rapide et moderne. Les abonnements se développent pour encourager les salariés à emprunter les transports en commun à moindre coût.
La première série, Z 3700, apparue sur la ligne Paris-Le Mans dans les années 30, circulera même tardivement, dans les années 80, sur la ligne Versailles – Juvisy via Massy-Palaiseau (à l’époque, cette section de la grande ceinture était terminus à Juvisy).
Deux anecdotes pour terminer :
- La place Banette et Planchon, devant la gare de Juvisy, est nommée en hommage à deux cheminots habitant dans le quartier et originaires de Vénissieux. Le 15 avril 1948, ils sont aux commandes d’une locomotive à vapeur en tête d’un train pour Lyon quand un tube de surchauffe cède, avec dégagement de vapeur brûlante. Ils parviennent à éviter le déraillement avant de succomber à leurs brûlures.
- Le 11 juillet 1953, le déraillement d’un train de marchandises se produisit à Etréchy. Deux puissantes grues durent être mobilisées ; cet accident retarda des essais d’endurance de nouvelles motrices. (photo Bernard Jeannot, Ferrovissime n°45 p.41).
Après la rationalisation du réseau ferré, la création de la SNCF, les horreurs de la seconde guerre mondiale et la reconstruction du réseau, le rail s’est modernisé dans les années fin 40 et 50, sans grands bouleversements dans notre région. Mais la banlieusardisation, entraînant de nouveaux flux quotidiens de voyageurs du nord du département vers Paris, ainsi que des déplacements de plus en plus fréquents de la province vers la capitale (et de province à province) laissaient entrevoir les mutations importantes de la fin du XXe siècle et du début du XXIe.
17. Mars, 2022
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6. Oct., 2022
LES CHEMINS DE FER EN ESSONNE : DE NOS JOURS (ET APRES)