Abbaye Saint-Benoit d'En Calcat

Abbaye Saint-Benoit d'En Calcat

SEPTIEME EPISODE

DOURGNE-REVEL


LE MONDE DU SILENCE

Marcher, vains dieux de misère, c'est le secret révélateur ! On ne pas asservir l'homme qui marche !

Henri Vincenot, « Les Etoiles de Compostelle » …

Ce site d’En Calcat a été fondé en 1890 par Dom Romain Baquet (1840-1929) qui revenait dans son village natal de Dourgne après avoir fréquenté le célèbre monastère morvandiau de la Pierre-qui-Vire….

Elle devint une abbaye Bénédictine en 1894, au cours d’une période, celle de la IIIème République qui était marquée par un fort courant Anticlérical…qui poussera d’ailleurs les parlementaires à voter une loi sur les Congrégations religieuses en 1901…mettant celles-ci sous le contrôle de l’état.

Les Franciscains ou les Dominicains furent contraints à l’exil (notamment en Belgique) car étant suspectés d’avoir une influence néfaste sur le futur état laïc et républicain (promulgué par la loi de 1905) …

Les Bénédictins d’En Calcat n’échappèrent pas à la règle en s’expatriant en grande majorité vers la Catalogne Espagnole voisine jusqu’au lendemain de la Grande Guerre…avant de pouvoir revenir sur leur terre du Tarn, du moins pour ceux qui ne tombèrent pas au « Champ d’honneur » (un bon tiers des Moines) durant ce premier et si meurtrier premier conflit mondial….

Durant l’entre-deux-guerres, l’abbaye continuera à s’agrandir et se moderniser mais le second conflit mondial va  de nouveau mobiliser une grande partie des Frères dont beaucoup seront prisonniers en Allemagne…

Depuis 1945, l’Abbaye d’En Calcat a repris ses activités en redevenant un des hauts-lieux spirituels dans cette partie d’Occitanie pourtant durement frappée jadis par les guerres de religion et à présent par la lente mais inexorable déchristianisation que connait notre pays….

Aujourd’hui, l’Abbaye compte une cinquantaine de frères, dont un peu plus de la moitié est encore composée de novices… Si l’intégralité d’entre eux ont décidé de vivre pleinement leur foi, ils ne sont pas pour autant de simples « contemplatifs » reclus car En Calcat est ouverte sur le monde, puisqu’elle est devenue non seulement un centre d’accueil pour les retraites spirituelles mais également un lieu d’étape pour les pèlerins de Compostelle…même si une fois de plus, pour cause de crise sanitaire, nous serons les seuls « Jacquets » lors de notre passage…

Nous posons nos sacs sur un banc situé dans un petit sous-bois face à ce qui semble être le centre d’hébergement. Christèle se rend directement à l’Abbaye pour signaler notre arrivée…

Il s’agit d’un édifice de type roman néo-classique (presque anachronique puisqu’édifié à la fin du XIXème siècle, comme le Sacré-Cœur ou la Basilique de Lisieux) auquel est accolé un autre bâtiment qui semble être le centre administratif de ce vaste domaine….

J’en profite pour contempler l’environnement : un vaste parc bordé de nombreux arbres et une atmosphère paisible et silencieuse qui semble planer sur les lieux… Christèle revient assez rapidement pour me dire que l’accueil de l’abbaye est pour l’instant fermé pendant la période …de l’Office….

ITE MISSA EST

En effet, les Frères d’En Calcat assistent à six « Offices religieux » quotidiens du lundi au dimanche inclus….

La journée spirituelle est rythmée par :

-       Les Laudes à 6h20 (7h20, le dimanche), sorte de louange du matin qui dure une demi-heure.

-            La Messe, à 9h00 (10h00, le dimanche)

-       La Sexte, « Milieu du jour » à 12h20 qui dure un quart d’heure

-       Les Nones à 14h05 (13h30, le dimanche) qui se déroule lors de notre arrivée…et qui dure également un quart d’heure.

-       Les Vêpres, à 18h00, qui dure une demi-heure.

-        Les Vigiles, ou « prière de la nuit » à 21h00 dont la longueur dépasse les trois quarts d’heure….

L'Hostellerie

L'Hostellerie

Au cours de ces offices, on y chante des psaumes et on entend des chants grégoriens durant « la Messe », notamment…. A noter que les pèlerins ou tous les hôtes de passage peuvent assister à ces offices sans toutefois pouvoir y apporter leur contribution…

Ainsi la vie quotidienne des Frères est animée par la pratique de l’Evangile : par la prière, le travail, l’étude et bien sûr la vie fraternelle…. Cette Communauté est donc dictée par la règle de Saint Benoît…

Saint Benoit, en fait Benoît de Nursie est né en 480 en Ombrie, une province située au Nord de Rome au sein d’une famille d’origine Romaine et surtout Chrétienne qui lui donne ce prénom de Benoit signifiant « Bénédiction » …. Il a une sœur, Scholastique, qui serait née la même année que lui (sa jumelle ?) et qui épousera comme lui la vie monacale et rejoindra la congrégation des Bénédictines…. 

Ce qui nous éclaire quelque peu sur l’origine de la seconde abbaye bénédictine de Dourgne, située à moins d’un kilomètre d’En Calcat qui abrite les Moniales dont la quête spirituelle et les activités sont identiques à celle des Moines. Elle est contemporaine de sa voisine avec une construction qui débute en 1890 pour s’achever en 1923….

Comme nous l’avons précisé auparavant, l’abbaye Sainte Scholastique n’a pas encore rouvert depuis la fin du premier confinement…

Saint Benoit quitte Nursie (en italien : Norcia) à l’adolescence pour commencer des études de lettres et de droit à Rome… Si la "ville éternelle", est dynamique et pleine de tentations porteuses de vices, elle finira par le rebuter: il décide alors de la quitter pour aller vivre sa foi à l’écart du monde. Il se transforme alors en ermite vivant dans une grotte, seulement aidé par un prêtre qui lui apporte de la nourriture.

Il consacre ses journées à la méditation et à la prière avant de renouer avec le monde en prenant la tête d’une petite communauté de fidèles qui voit en lui un chef spirituel qui impose son rite fondé sur une règle stricte…il est connu alors pour effectuer de nombreux miracles. Devenu abbé, il se réfugie au Monte Cassino, situé dans le Latium où il fonde son premier monastère vers 529….

Il est donc à l’origine de cette puissante et influente congrégation Bénédictine qui va se développer considérablement jusqu’à son déclin au XVIème. Celui qui est devenu Saint Benoit meurt en 547, ses reliques sont alors transférées dans la future Abbaye de Sully sur Loire, en France….

Dans notre pays, les congrégations bénédictines connaitront un essor considérable jusqu’à ce que Louis XIII, les jugeant trop influentes, choisit de les remplacer par une nouvelle entité religieuse qui prend  alors le nom de St Maur, qui fut d’ailleurs le nom du premier disciple de Benoit… Au moment de la Révolution Française marquée par une relative longue période de déchristianisation voit sa dissolution … avant de renaitre de ses cendres dans le courant du XIXème siècle….

Encore aujourd’hui, Benoit de Nursie est considéré par les Catholiques et les Orthodoxes comme le Patriarche des Moines d’Occident. Il est fêté le 11 juillet….

Saint Amancet, entre Dourgne et Sorèze

Saint Amancet, entre Dourgne et Sorèze

PRIERE DE NE PAS DERANGER

En fait, l’accueil des pèlerins se fait à l’intérieur du bâtiment qui est derrière nous. Nous nous y rendons d’un pas encore alerte. Cet hébergement paraît relativement récent.

A l’intérieur, on découvre un vaste hall avec une large baie vitrée qui offre une vue sur un vaste parc que nous ne tarderons pas à découvrir. Quelques personnes sont assises sur les fauteuils qui trônent au fond de la pièce. Sur notre gauche, une cafétéria qui annonce un vaste corridor qui doit mener aux chambres….

Sur notre droite, un bureau. L’hôtesse nous accueille et nous enregistre pour la nuit. Le repas est prévu à dix-neuf heures dans le réfectoire de l’Abbaye et sera servi par les Frères. Ainsi, il est clair que nous ne sommes pas dans une hôtellerie classique comme nous avions cru le comprendre lors de l’appel téléphonique.

La chambre est située au rez-de-chaussée du bâtiment et donne sur le parc. Elle est composée de deux lits simples et pourrait ressembler à n’importe quelle chambre d’un hôtel classique à la différence près qu’il n’y a pas télévision murale ni de « room service » proposé….

Nous avons constaté la présence de plusieurs groupes de femmes provenant d’Afrique noire qui parlent anglais ou français selon les cas. Elles viennent probablement effectuer des « retraites » spirituelles, ainsi que les quelques autres personnes solitaires et des couples qui sont parmi nous…

Cependant, nous pouvons déplorer une fois de plus que nous sommes les seuls pèlerins sur la place…. En attendant la « collation » de 19h00, nous avons le temps d’effectuer un grand tour dans le parc…

Un parc qui s’étend sur plusieurs hectares, assez bien aménagé… avec plusieurs bancs ombragés sans oublier le silence apaisant qui a envahi tout cet écrin de verdure…. Indéniablement, c’est l’endroit idéal pour se « ressourcer » …

Nous croisons un moinillon, appelons-le plutôt novice…âgé d’une vingtaine d’années et vêtu d’une « coule » noire, une sorte de pèlerine ample accompagnée d’une capuche et que les moines ou les novices portent dans la journée pour se rendre aux offices ou accomplir leur travail quotidien… Il semble perdu dans ses méditations mais nous adresse un salut poli et continue son périple d’un pas décidé, chaussé de ses sandales sans chaussettes….

« Dommage, il est mignon » souffle en souriant, Christèle qui aime parfois s’égarer avec des propos coquins… On peut effectivement en sourire mais surtout s’étonner de voir aujourd'hui des gens si jeunes embrasser  cette vie monacale et tenter de comprendre quelles motivations profondes les animent….

N’oublions pas qu’ici, plus de la moitié des religieux sont des novices, c’est-à-dire se trouvant en période « initiatique » et qui peut durer un an : ce qui leur permet d’approfondir leur quête spirituelle et surtout leur aptitude à accepter les règles strictes de l’ordre de Saint Benoit.

Un maître des novices les encadre durant cette période. Au-delà, ils peuvent décider de partir sinon ils s’engagent dans un cycle triennal qui débouchera ou non sur un engagement définitif lors de la cérémonie des vœux….

La vie des moines d’En Calcat est bien réglée : outre les six offices liturgiques dont nous avons parlé plus haut, chacun d’entre eux est affecté à une tâche car le monastère  a développé une activité économique interne avec l’hôtellerie (accueil des Pèlerins et organisation des retraites spirituelles), la gestion d’une librairie et d’une maison d’éditions (« Siloé »),  la production de cartes, de disques et de cithares mais également de la fabrication d’un baume.

Entrée de l'Abbaye

Entrée de l'Abbaye

LA CENE

Peu avant dix-neuf heures, nous nous rendons au réfectoire afin de prendre notre repas du soir.  Un groupe composé de couples et des Africaines vues lors de notre arrivée attend déjà devant la porte…qui ne tarde pas à s’ouvrir. Un moine nous conduit via un escalier vers la salle à manger…

La pièce est assez large et composée de plusieurs grandes tables dressées pour accueillir les hôtes. Collée au mur, une autre table est occupée par plusieurs plats préparés, des carafes de vin et d’eau et une chaîne Hi-Fi….

Nous choisissons la première table qui se présente à nous, étant suivis par cinq autres personnes. Un frère arrive alors et allume la Chaîne Hi-Fi qui émet un enregistrement du « Bénédicité ». Tous les participants restés debout se prêtent à l’exercice avec autant de force que de conviction, sauf nous, un peu surpris par cette entrée en matière…

Surtout moi, qui a déserté la sphère religieuse depuis Mathusalem (comme beaucoup, depuis la fin de ma communion solennelle), ne fréquentant que très occasionnellement la maison du Seigneur pour des raisons touristiques ou parfois moins gaies (les enterrements).  Je me souviens que le curé d’Etréchy s’appelait l’Abbé Judas mais j’ignore quel rapport il entretenait avec le Seigneur……

Christèle quant à elle, est un peu plus assidue, s’étant même investie un temps dans la vie paroissiale de sa commune tout en se rendant de façon occasionnelle à la Messe (notamment celle de Minuit) …… Elle compte pour l’occasion assister peut-être aux Vigiles prévues à 21h00….

Passée cette « mise en bouche » spirituelle, nous nous asseyons ainsi que nos compagnons de tablée, sauf l’un d’entre eux qui se lève pour aller chercher la soupière… Et curieuse impression, on entend « voler les mouches » :  on ne va pas tarder à comprendre que la règle du silence est d’or, comme pour copier celle des « frères ».

Ma voisine me regarde en souriant, telle « une ravie de la crèche » tout en me faisant des gestes dont je ne capte pas immédiatement la signification. Anesthésié par le « chant Grégorien » qui a succédé au « Bénédicité », je comprends soudain qu’elle me demande de lui servir quelques louchées de soupe…

Le repas va se poursuivre, partagé entre le silence des convives et la musique lancinante qui chatouille nos oreilles devenues chastes…. Nous essayons d’entamer la conversation mais c’est peine perdue : nos voisins sont vraiment atteints du syndrome mutique aigu…

Seul un homme nous lâche quelques phrases polies du style « non merci » lorsqu’on lui retend un plat ou propose à boire, sous le regard réprobateur de sa femme…. Nous apprendrons par la suite que ce couple vient régulièrement « en retraite » à En Calcat, certainement pour faire le « point ». En tout cas, au niveau discussion, nous sommes plutôt au « point mort » ….

Nous n’aurons pas non plus la capacité à faire « parler les autres convives » murés dans leur silence et optant pour une attitude teintée de neutralité bienveillante vis-à-vis de leur prochain….

Christèle, un brin moqueur, croise mon regard et se retient pour ne pas avoir le fou-rire tout comme moi d’ailleurs qui me force à penser à toute la misère du monde face à ces personnes que nous n’avons « pas les moyens de faire parler ».

Dans le voisinage, les tablées sont également composées de « taiseux et taiseuses », dont le rappel de leur présence est uniquement rythmé par le bruit des fourchettes et des couteaux qui résonnent au cœur de cet antre de quiétude….

Le repas terminé, une autre surprise nous attend : il faut à présent débarrasser la table…et faire la vaisselle, comme pendant les séjours de vacances sportives à l’UCPA : chaque pensionnaire doit apporter sa contribution….

Au silence du repas assoupissant a succédé un vacarme rythmé par le débarrassement des tables par des mains visiblement habituées à ce genre d’exercice et qui le ponctue en ramassant avec dextérité les miettes, passent l’éponge puis donnent un efficace coup de balai, le tout en un temps plus rapide que l’éclair….

Nous partons non pas au salon mais à la cuisine pour une nouvelle offensive : celle de faire la vaisselle et déjà une « chaine active » s’active autour des éviers pour nettoyer les assiettes et autres couverts avec la même efficacité que dans la salle à manger. « L’esprit de la ruche » est plus que présent, même sans la Reine des Abeilles…. De vrais Stakhanovistes sans le savoir….

J’avoue que j’apporte mon concours en pratiquant le « minimum syndical » faisant semblant d’essuyer deux ou trois couteaux et autres cuillères à soupe, accompagné en cela par mon voisin de tablée mais sans possibilité d’entamer une quelconque discussion avec lui ou de sortir une « blagounette » pour détendre l’atmosphère, ce n’est pas le genre de la maison….

Christèle, en femme dévouée et attentionnée s’avère plus volontaire, s’escrimant à astiquer les assiettes avec conviction mais en jouant quand même en seconde division, autant surprise que moi par la frénésie domestique qui anime nos compagnons d’un soir….

Nous quittons assez rapidement la pièce pour nous diriger vers la bibliothèque située avant la sortie du bâtiment. Autant le dire tout de suite, le rayon livres ne brille pas par son éclectisme : on l’aura compris la littérature religieuse est fortement dominante, seuls quelques autres ouvrages se démarquent mais la touche spirituelle prend toujours le dessus.

Pas de question trouver ici Playboy ou Charlie Hebdo, les publications les plus subversives seront peut-être Golias, le mensuel des Chrétiens Progressistes… et encore…

DANS LA CHALEUR DE LA NUIT 

La soirée au sein d’une abbaye ne peut que tourner court au niveau des loisirs : hormis une autre ballade au cœur du parc qui commence à se noyer dans l’obscurité de cette nuit estivale…on ne peut ni se faire une « soirée télé », l’étrange lucarne étant absente des lieux (sauf peut-être pour regarder la chaine KTO) ni siffler des cocktails au bar. Non ici, la vie se veut ascétique le temps du séjour….

Christèle qui comptait assister aux Vigiles est finalement partie se confesser dans les « bras de Morphée ». Demain, nous attaquerons une nouvelle étape qui nous mènera jusqu’à Revel, dans le département de la Haute-Garonne.

Comme d’habitude, nous devrons partir assez tôt, c’est-à-dire avant sept heures même si le périple s’annonce assez court : une quinzaine de kilomètres environ, ce qui devrait nous faire arriver à bon port pour l’heure du déjeuner…

Je retourne faire un tour dans le parc désert afin d' effectuer une petite balade nocturne et surtout constater qu’un petit vent léger me chatouille le visage, rompant un court instant le silence qui continue à régner en maitre sur ce lieu….

Retour dans le hall de l’hôtellerie qui est assez peu fréquenté, sinon par les petits groupes d’africaines qui papotent…. Je m’installe sur le balcon qui plonge sur le parc. Je bouquine un peu un exemplaire de « La Vie » que j’ai trouvé dans les rayonnages de la bibliothèque de ce hall….

Il est vingt et une heure trente et En Calcat n’est pas loin de s’endormir… Le mois dernier, Frère Emmanuel, 49 ans, a été élu nouveau Père-Abbé à la tête du Monastère. Il est le 9ème du nom et succède ainsi le Père David qui occupait la fonction depuis 11 ans et qui l’a quittée pour raison de santé.

Comme c’est prévu, le Père-Abbé tient au Monastère « la Place du Christ ». C’est une lourde et difficile tâche que de veiller sur toutes les âmes qui abritent ce lieu spirituel, comme il est précisé sur les brochures présentant En Calcat….

Mais, il reste malgré tout un moine comme les autres, soumis aux mêmes règles, celle de Saint-Benoît et restera ici probablement jusqu’à la fin de ses jours, fidèle à son engagement définitif respectant en cela cette boutade d’un de ses homologues de l’Abbaye de Solesmes : « Les Moines ne servent à rien, à rien du tout, mais ils servent Dieu ».

Avant d’aller dormir, je consulte un livre sur Dom Robert, une des grandes figures d’En Calcat (1907-1997), moine Bénédictin tout en étant un peintre, céramiste et tapissier de renom et qui a laissé derrière lui une œuvre considérable …

TOUS LES MATINS DU MONDE

Il est un peu de 6 heures du matin et En Calcat s’éveille peu à peu. Je fais un petit tour dans le parc encore noyé dans la brume, je constate que l’herbe est mouillée mais non pas à cause de la rosée mais plutôt de la pluie qui s’est invitée durant la nuit… D’ailleurs le ciel reste menaçant, on entend même gronder le tonnerre au loin…peut-être allons-nous être obligés de sortir nos vêtements de pluie qui jusqu’à présent nous paraissaient totalement inutiles en cette période caniculaire….

Une petite demi-heure plus tard, nous regagnons Christèle et moi, la pièce « petit-déjeuner » qui est incorporée dans un coin du hall de l’hôtellerie…. Pratiquement personne, sinon notre ex-voisine de table d’hier soir, celle que j’avais surnommée « la ravie de la Crèche » …. Elle sirote son thé, nous salue poliment mais ne desserrera pas plus les dents que la veille…

Avant de quitter les lieux, le novice croisé dans le parc hier fait également son apparition dans la pièce, sortant probablement du premier office liturgique du jour (« les Laudes »), il nous souhaite « un bon chemin » ….

Peu avant 7h00, nous quittons l’Abbaye pour retourner vers le village de Dourgne. Il ne pleut finalement pas mais le ciel reste très chargé insufflant un air on ne peut plus humide, ce qui ne devrait pas être désagréable pour marcher…….

Pour rappel, le parcours est relativement facile et assez peu accidenté, nous rencontrerons des paysages composés de plaines fertiles destinées à la culture tout comme à l’élevage qui reste l’activité dominante dans cette région qui fait face à la Montagne noire….

La route qui nous ramène vers le centre de Dourgne est à ce moment précis très peu fréquentée, je jette alors un dernier coup d’œil au clocher de l’abbaye, légèrement voilé par la brume matinale… pour bientôt découvrir celui de sa jumelle « Sainte Scholastique » que nous avions déjà aperçue lors de notre arrivée de la veille….

La traversée de Dourgne se fait rapidement, le village est pratiquement désert et nous nous engageons sur la route D85 en direction de l’Ouest pour prendre ensuite un chemin latéral qui devrait nous permettre d’atteindre le petit village de St Amancet… De vastes plaines récemment moissonnées se présentent à nous ainsi qu’un joli champ de tournesols qui égaye un paysage encore noyé dans la brume.

Nous sommes dans l’ancien canton de Dourgne supprimé en 2015 et qui conserve une physionomie agricole très marquée, aussi bien dédiée à l’agriculture intensive, qu’à l’élevage, nous croisons d’ailleurs à l’occasion, un troupeau de vaches qui paressent au cœur d’un vaste pré, mais les quelques GAEC, ces groupements agricoles se sont également spécialisés dans l’élevage ovin et même, c’est plus insolite ici, le porcin…

Sur le territoire de la commune voisine de Sorèze, au cœur de la Montagne Noire, certains agriculteurs se sont même lancés dans l’agriculture biologique à grande échelle….

Nous arrivons au hameau de la Jardarié, qui enjambe le ruisseau nommé l’Avaris (au diable, l’Avaris ! serais-je tenté de penser), l’endroit est composé de « bories », ici dans cette partie du sud-ouest, elle désigne une exploitation agricole (alors qu’en Provence, elle fait allusion à ces huttes pierreuses qui servent de remise).

Deux statues, l’une de Sainte-Thérèse et l’autre de Saint Roch sont érigées au milieu d’un enclos, certainement destinées à encourager les pèlerins lors de leur passage. Nous décidons d’ailleurs de faire une pause avant d’amorcer le dernier tronçon qui devrait nous mener à Sorèze, encore situé dans le Tarn mais limitrophe de la Haute-Garonne….

Nous sommes en fait sur la commune de Cahuzac que nous n’allons pas tarder à traverser. Le village est minuscule, uniquement traversé par la route et quelques dépendances. L’Eglise trône au milieu de la petite place de cette commune paisible. Avec Christèle, nous nous regardons « les yeux dans les yeux » nous promettant de ne jamais frauder le fisc, parodiant en cela le bon Docteur-Ministre qui porte le même nom que le village, où qui sait, proviennent peut-être de lointains ancêtres….

A la sortie du bourg, nous découvrons au loin, ce qui est probablement le clocher de Sorèze, niché au milieu d’un habitat groupé….

Sorèze, une ancienne cité fortifiée, aujourd’hui peuplée d’un peu plus de 2800 habitants dont nous découvrons la place de l’Eglise animée par l’organisation d’un mariage…, c’est vrai nous sommes samedi. Nous décidons de nous poser avant de repartir pour Revel qui n’est situé qu’à six kilomètres d’ici….

Un autochtone, un homme assez âgé et surtout handicapé vient vers nous pour engager la conversation…Il nous vante avec insistance les curiosités historiques de la commune, nous rappelant le quidam rencontré à Viviers-les-Montagnes qui voulait jouer les guides touristiques mais nous déclinons poliment l’invitation….

Curieux, je décide de m’engager dans une ruelle qui mène semble-t ’il, vers le centre du bourg, en direction du clocher aperçu au loin lors de notre arrivée….

Le clocher de Sorèze

"JE VEUX REGARDER DIEU EN FACE"

Je tombe sur une place déserte mais à la belle ordonnance architecturale, avec ses bâtisses mitoyennes à arcades, et en outre coiffée d’une petite fontaine et de quelques arbres, un vrai décor de théâtre qui me laisse contemplatif…

Mon regard se porte sur une maison à colombages occupée par une épicerie fine au-dessus de laquelle une plaque de marbre a été apposée…






C’est là qu’est né Jean Mistler, écrivain, ancien secrétaire perpétuel de l’Académie Française. Le monde est petit, car un de mes livres de voyage a été écrit par son ex- gendre, le journaliste Michel Lancelot, animateur de la légendaire émission d’Europe N°1 : « Campus » qui fit les

grandes heures de la station de la rue François 1er entre 1968 et 1972 et qui fut également l’auteur du fameux « Je veux regarder Dieu en face », essai sur le phénomène hippie…avant de disparaître prématurément en 1984, à l’âge de 46 ans….

Le clocher de Sorèze

Je contemple ce décor agréable…avant que ne retentisse un message SMS. « Ou es-tu passé ? je te cherche partout », il est signé Christèle et laisse présager un ton quelque peu réprobateur…nul doute qu’à mon retour, je risque de me faire remonter les bretelles…du sac à dos (je plaisante…) ….

LES VIEILLES PIERRES

Je retourne vers la Place de l’Eglise…où je retrouve Christèle. Je lui confie les raisons de mon escapade et l’invite à venir visiter ce que je viens de parcourir…. Ce qui ne va pas tarder à nous étonner, c’est la non-ouverture des commerces que nous croisons, bien que nous soyons Samedi et qu’il est onze heures, en sachant que le confinement est terminé depuis deux mois. Peut-être est ce que parce que nous sommes en Août ? Le mystère reste entier…

Il semblerait, doux euphémisme, que Sorèze, malgré son patrimoine historique soit une ville en déclin commercial. Sur la place se dresse  une statue de Saint-Jacques qui nous rappelle que le village est une étape privilégiée sur la voie d’Arles…

Non loin de là, nous découvrons le fameux clocher roman de l’Eglise Saint-Martin qui jouxte l’ancienne Abbaye bénédictine, dont l’origine remonterait au VIIIème siècle sous l’impulsion présumée de Pépin le Bref…

Il s’agit en fait de l’Abbaye-Ecole qui fut un centre d’enseignement novateur à partir du XVIIème siècle, le célèbre Révérend-Père Lacordaire y enseigna au XIXème, d’ailleurs sa statue trône au milieu de la cour d’accueil…. L’école ne fermera qu’en 1991….

La réputation du site était telle que le roi Louis XVI décida de la transformer en Ecole Royale Militaire en accueillant des élèves venus des quatre coins de la planète… mais la Révolution Française met un terme à son activité….

L’Abbaye-Ecole est devenue un lieu muséographique depuis lors. Elle abrite notamment un musée consacré à Dom Robert, dont nous avons parlé lors de notre passage à En Calcat…

L’univers Bénédictin est largement représenté dans cette ancienne cité fortifiée et qui connut de grandes périodes d’opulence. Nous découvrons la maison natale de Dom Claude Devic (1670-1734), moine Bénédictin lui-même, ancien élève de l’Ecole Abbaye et qui devint Secrétaire du procureur général de la Congrégation de Saint-Maur auprès du Saint-Siège Il est également connu comme Erudit après avoir été le rédacteur d’une colossale « Histoire du Languedoc ».

Pour rappel, La Congrégation de Saint-Maur fut créée sous Louis XIII pour remplacer la trop influence congrégation bénédictine née au Moyen-âge…

Une petite rue baptisée « Pascale Olivier », nom d’une poétesse locale mène vers une porte de ville, un des rares témoignages du passé fortifié du bourg avec le mur d’enceinte qui jouxte l’actuelle mairie….

Nous aurions voulu trouver un Café pour nous poser, nous tombons finalement sur la seule boutique ouverte jusqu’à présent, de l’autre côté de la Place Centrale. Elle ressemble plutôt à une boutique « fourre-tout », mi-librairie, mi-épicerie et qui sert également du café…

Nous nous entretenons avec le Patron, un homme assez affable et qui nous parle de la dure réalité du bourg à l’heure du COVID qui a été fatal selon lui pour certains commerces locaux et surtout pour le camping municipal qui ne réouvrira pas l’année prochaine…     

Nous quittons les faubourgs de Sorèze avant de déboucher sur un rond-point situé face à…un supermarché, qui contrairement au centre-ville est plutôt bien fréquenté !...

Un panneau routier indique : Revel, 5 kilomètres. Nous empruntons sur un petit kilomètre la départementale 85 avant de bifurquer sur une route secondaire en direction du village de Durfort….

Le chemin est plaisant, parsemé de quelques habitations isolées et noyées dans la verdure face à la Montagne Noire. Nous sommes toujours sur la commune de Sorèze et nous bifurquons vers l’ouest en direction de Revel, via une série de hameaux et de chemins bucoliques….

Le Canal à Revel

Le Canal à Revel

LA RIGOLE DE LA PLAINE

C’est l’arrivée à Pont-Crouzet, un hameau qui jouxte la Départementale 85 où nous découvrons la Rigole de la Plaine qui est en fait le canal d’alimentation en eau du Canal du Midi. D’une longueur de 38 kilomètres, il capte une partie des eaux du Sor, le ruisseau qui passe aux alentours grâce à son système de vannage et arrose Revel, St Félix-Lauragais, Les Cassès ou encore Montferrand.

A présent, la Rigole va devenir notre compagne de route quotidienne, partie intégrante de ce Canal du Languedoc, parfois appelé des Deux Mers et qui fut réalisé à partir de 1662, sous le règne de Louis XIV d’après les plans de l’Ingénieur Pierre-Paul Riquet. Il faudra plus de vingt ans pour aboutir à l’achèvement des travaux….

Nous reviendrons ultérieurement sur Riquet et son œuvre car cette grande figure de l’histoire de l’Occitanie, natif de Béziers et dont la mémoire est largement perpétuée dans toute cette province est à présent étroitement liée à l’histoire récente du chemin….

En attendant, nous continuons à fouler le long chemin de la Pergue qui ne va tarder à nous ramener aux berges du Canal et bientôt changer de département, passant du Tarn en Haute-Garonne car nous arrivons en effet à Revel, dans le quartier du Moulin du Roy, à présent occupé par un camping….

Le Moulin du Roy fut le premier moulin construit par Riquet vers 1670 afin de remplacer les quatre moulins à blé de Revel dont l’eau avait été détournée pour l’alimentation du Canal. Ledit moulin utilisait la dénivellation à l’arrivée de la rigole provenant de Pont-Crouzet dans le bassin de Port-Louis, l’un des ouvrages les plus originaux de la construction initiale du Canal.

L’agrandissement de la Rigole de la Plaine et la construction de 24 écluses pour la rendre navigable jusqu’au Seuil de Naurouze, situé dans l’Aude amenèrent Riquet à créer un port à Revel….

Place du Marché

Il est presque midi et demi et nous nous approchons du centre-ville de Revel.  Située à moins de 60 kilomètres de la Ville Rose, Revel et ses 10 000 habitants apparait comme un bourg vivant et dynamique et cela va se confirmer lorsque nous allons déboucher sur la place du Marché qui grouille de monde et pour cause, c’est jour de marché. Autour de la Halle centrale, sont groupés de nombreux étals et stands mais certains d’entre eux commencent à être démontés car le marché touche à sa fin. Nous décidons alors de nous poser dans un restaurant très fréquenté face à la Halle et de savourer cette agréable ambiance urbaine…

Place du Marché-Revel

Place du Marché-Revel

Maison de Jean Mistler Sorèze

Fontaine à Sorèze

Hommage aux Pèlerins