Tête de Roi Soleil, Seuil de Naurouze
NEUVIEME EPISODE
LES CASSES-LA GOUTILLE
LES ENFANTS DE L’ENTRE-DEUX-MERS
« Le chemin se construit en marchant »
Antonio Machado – Poète espagnol – (1875-1939)
Isabelle a les yeux clairs.
Nous pénétrons dans le vaste jardin face à la maison et Isabelle vient à notre rencontre…C’est une femme avenante, au regard très clair qui nous souhaite donc la bienvenue… en compagnie de deux tortues qui trottent sur la dalle du jardin...
Nous déposons nos sacs devant la porte d’entrée, tout en accomplissant notre rituel salvateur : à savoir le retrait de nos chaussures qui permet ainsi à nos pieds soumis aux rudesses de la marche de se libérer à l’air libre, malgré le parfum dégagé par nos chaussettes, plus proche des effluves d’une usine d’engrais chimiques que celle d’un champ de lavandes…. Nous prenons place devant une table placée au milieu du patio. Isabelle nous propose un rafraichissement que nous acceptons fort volontiers : ce sera du sirop de violette….
La violette dans tous ses états
Originale et en plus délicieuse à boire cette spécialité désaltérante. Dans la foulée, en nous servant cet élixir réconfortant, notre Hôtesse nous rappelle que la « Violette » est une véritable « spécialité Toulousaine ».
Cette « Violette » est même l’emblème de la « Ville Rose » qui aime bien « en voir » de toutes les couleurs. » La quatrième ville de France n’est donc pas la Capitale du cassoulet, contrairement à une idée reçue, cette appellation étant plutôt réservée à Castelnaudary, le chef-lieu du canton au cœur du Lauragais, dans lequel nous nous trouvons actuellement…
Non, Toulouse et la Violette c’est une histoire d’amour qui remonte au XIXe siècle quand, selon la légende, un soldat Piémontais de passage dans la région en offrit un bouquet à sa dulcinée…Au cours des années qui suivirent, cette petite plante vivace aux feuilles très parfumées et poussant en touffes fut cultivée dans la périphérie Toulousaine, provoquant de nombreuses vocations puisque de nombreux producteurs exploitèrent ce nouvel « eldorado ».
Une coopérative fut créée en 1908 et permit l’exportation de nombreux bouquets de violettes à travers le monde : plus d’un demi-million chaque année et dont la notoriété ne cessera de croître au fil du temps….
Malheureusement, cet engouement va connaitre un inexorable déclin après la seconde guerre mondiale jusqu’à complètement péricliter…Cependant, à l’orée des années 80, la « Violette de Toulouse » va ressusciter grâce à l’initiative d’un ingénieur agronome qui crée à l’occasion un Conservatoire des Plantes afin d’en assurer la sauvegarde….
On commence à pratiquer une sorte de culture « in vitro »de la violette, qui va générer la production de « plants » à une échelle conséquente…. Le tissu associatif autour de cette renaissance botanique va prendre le relais pour fédérer dans cette entreprise aussi bien les industriels que les producteurs avec le dessein de décliner de nouveaux produits : parfum, liqueur ou violettes cristallisées….
Grâce à une bonne opération de communication qui va de facto apporter une indéniable notoriété à la plante ressuscitée, c’est bientôt la ville Rose qui va prendre le relais des associations pour organiser une « Fête de la Violette » et créer plusieurs points de vente à travers l’agglomération Toulousaine….
PASSEUR-ELLE
Comme elle nous le rappelle, Isabelle a repris ce gîte « Passeur-elle » depuis le printemps 2020. Cette halte des pèlerins existait déjà depuis plusieurs années, lieu de passage obligé sur la Via Tolosana au riche et parfois passé historique….
Originaire de Touraine, elle vivait depuis plusieurs années à Nîmes avec son fils et son mari, ce dernier étant issu d’une vieille famille du Languedoc et fraîchement retraités, ils ont décidé de « tenter cette aventure spirituelle » en reprenant ce gîte au cœur de ce lieu qui connut un des épisodes tragiques du Catharisme…
Seul bémol : ils se sont installés ici peu avant le premier confinement qui a marqué un coup d’arrêt brutal à l’activité Jacquaire. Comme nous l’avait mentionné Marcelle lors de notre passage à Revel, l’Hôtesse des Cassès n’a reçu qu'une cinquantaine de pèlerins depuis le début du mois de juin…. Et une fois de plus, nous serons les seuls hébergés cette nuit….
Nous évoquons également l’étape de demain et les difficultés à trouver des hébergements entre Les Cassès et Avignonet-Lauragais, c’est là qu’Isabelle nous donne l’adresse de Danielle qui tient un gîte dans une ferme isolée au lieu-dit la « Goutille » situé à vingt kilomètres de notre destination du jour… Christèle l’appellera dans la soirée pour confirmer notre venue….
La maison qui comporte un étage est mitoyenne d’une dépendance dans laquelle Isabelle a installé « une épicerie », sorte de petit local marchand où l’on peut acheter des conserves et bien d' autres consommables, ce qui peut s’avérer fort pratique dans un village où il n’y a plus aucun commerce…
L’intérieur de la maison transformée en gîte se compose d’un rez-de chaussée dans lequel on peut trouver la salle de séjour et la cuisine mais également un accès à la « dépendance » de la maison, essentiellement dédiée aux « pèlerins » ou « autres randonneurs » de passage, dôté d' un cabinet de toilette et d'une douche, un lave-linge et une table avec des casiers de rangement pour y déposer nos sacs, car comme d'habitude, pour des raisons sanitaires, nous ne pouvons les emporter avec nous dans la chambre…
Le premier étage est composé de plusieurs pièces, les unes sont réservées à notre « famille d’accueil » tandis que deux autres le sont pour les « pèlerins » : en tout, six couchages et un « cagibi » où l’on peut se retirer pour écrire ou lire….
L’endroit est aussi agréable que silencieux, nous constatons cependant « l’absence de réseau » ou « n’étant disponible que de façon aléatoire » comme nous le confirmera ultérieurement Isabelle. Sans être une « zone blanche », Les Cassès est un village partagé entre son lourd passé historique et sa timide intrusion dans la galaxie numérique…….
LE MEMORIAL CATHARE
Avant le diner, nous décidons d’aller faire un tour au mémorial Cathare, autre grande curiosité de ce village qui est bâti sur un éperon rocheux jadis dominé par son Château Fort et qui fut au Moyen-Age une place défensive qui dépendait du Comté de Toulouse…
C’est un petit chemin à l’écart de la commune qui nous amène à un belvédère légèrement balayé par les vents…Devant nous se dresse le « mémorial » en forme de cercle ou sont disposées plusieurs plaques commémoratives des différentes localités victimes des massacres des « hérétiques ».
Au milieu un autel a été construit et est surmonté d’une fresque en fer forgé représentant les flammes des bûchers… Et pour faire un jeu de mots facile, la vue est à couper le souffle. Une vue panoramique a près de 360 °s’offre à nous nous laissant découvrir au loin la Montagne noire et probablement une vue sur le point culminant du massif : le pic Nore. Le mémorial a été réaménagé pour célébrer le huitième centenaire de cette tragédie liée à la Croisade des Albigeois en 2011.
En effet, en 1211, la petite cité des Cassès va donc vivre un épisode tragique car elle est assiégée par l’armée de Simon de Montfort qui prend au piège la garnison, contraignant cette dernière à se rendre mais qui tente de négocier sa reddition…
Simon IV de Montfort, seigneur de Montfort-l’Amaury (actuelle département des Yvelines), allié au Roi de France Philippe-Auguste a donc pris la tête de la Croisade contre les « Hérétiques » qui menacent, dit-on alors, l’unité du Royaume et la toute-puissance de l’Eglise traditionnelle, après avoir organisé une « Eglise Cathare » au Concile de Saint-Félix.
Il est à la tête d’une armée qui remporte le siège de Lavaur et organise le Massacre de Montgey, localités toutes les deux situées dans l’actuel département du Tarn avant de se lancer à l’assaut de la Citadelle des Cassès qui dépend, rappelons-le, de la Suzeraineté du Comte de Toulouse…
Les chevaliers encerclés dans le château décident de se rendre, ce qui leur permettra d’avoir la vie sauve. En contrepartie, ils se voient dans l’obligation de livrer à l’ennemi 94 des « bonshommes et bonnes-femmes » réfugiés dans la tour du Castrum, une trentaine d’entre eux acceptent de se convertir au Catholicisme mais les soixante autres refusent d’abjurer leur foi, ce qui les amènera à finir sur le bûcher….
Ce vocable « bonshommes et bonnes femmes » donc désignent les « bons chrétiens » de l’Eglise Cathare tandis que leurs adversaires Croisés les surnommaient plutôt « les Hérétiques Albigeois » …Simon de Montfort fera raser le château et ses dépendances mais un nouvel édifice sera reconstruit quelques temps après et « l’éradication Cathare » se poursuivra sous l’égide d’Inquisiteurs qui sévirent jusqu’en 1235….
LE REPOS DES GUERRIERS
De retour du Belvédère, Isabelle nous convie à dîner dans le Patio. Nous ne sommes que tous les trois, son mari et son fils ne participant pas à notre repas, ce qui étonne un peu au départ. Nous rencontrerons cependant son mari, ancien agronome qui a beaucoup travaillé en Afrique. Il a installé une serre à l’entrée du jardin pour s’adonner à la culture de plantes exotiques….
Isabelle est une « pélerine » dans l’âme, elle a effectué plusieurs itinéraires du Chemin (Tours, Le Puy, Italie, notamment) et n’hésite pas à nous dire que « l’envie de repartir » demeure toujours présente en elle. Cette reconversion dans la fonction d’Hospitalière peut dans le cas présent lui permettre de « voyager » par procuration en accueillant des pèlerins même si dans la situation actuelle, ils se font rare….
Notre hôtesse nous évoque d’ailleurs l’histoire d’un père de 40 ans, militaire baroudeur qui effectuant une étape du chemin avec son fils de 11 ans constata durant son périple que bon nombre de gites étaient fermés sur son passage et il se vit dans l'obligation d'arpenter plus 40 kilomètres d’une seule traite….
Le plus étonnant n’étant pas la réussite de cette marche éprouvante, ce qui ne constitue pas forcément un exploit pour un militaire aguerri et surtout habitué à ce type d’exercice d’endurance mais plutôt au fait d’avoir su motiver son jeune fils à arriver jusqu’au bout…Sans nul doute, un bel exemple de force intérieure et de détermination
SOIREE DE FINALE....
C’est le soir de la finale de Football, que nous ne verrons pas, entre le PSG qui a enfin réussi à se hisser à une finale de Coupe d’Europe face au redoutable Bayern de Munich. Malheureusement, le rêve va se briser au bout de 90 minutes lorsque les Parisiens vont s’incliner 1 à 0….
Cela rappelle bien sûr le duel Saint-Etienne contre le même Bayern en 1976. « Les Verts » de Robert Herbin, Jean-Michel Larqué et Dominique Rocheteau avaient fini par trébucher… avec un score identique face à une équipe bavaroise menée par les Beckenbauer, Rummenigge et Muller, auréolés de leur titre de champions du Monde de 1974. L’histoire se répète donc….
Mais dans ce village du Sud-Ouest, terre de Rugby, en plein territoire Cathare on ne risque pas de rencontrer beaucoup de supporters du club Germano-Parisien, financé par le Qatar….
Me promenant dans les ruelles du bourg, je ne peux que constater l’absence cruelle de téléviseurs branchés sur TF1 pour suivre le match… a contrario, plusieurs familles profitent plutôt de la douceur de la soirée et dinent ou refont le monde sur les terrasses de leurs maisons…. Mais il est à présent l’heure d’aller se coucher, car demain nous entamerons une nouvelle étape longue de 20 kms entre ce village de l’Aude et un hameau situé en Haute-Garonne, via la Rigole……
LA DEUXIEME SEMAINE
Ce lundi-là inaugure notre deuxième semaine sur la « Voie d’Arles » et devrait donc nous amener en fin d’après-midi chez Danielle, au lieu-dit de la Goutille, non loin d’Avignonet-Lauragais… Nous prenons le petit-déjeuner avec Isabelle sur la grande table située dans la salle de séjour puis nous faisons nos adieux à notre hôtesse car il est déjà 7 heures, le ciel est très dégagé et le soleil risque d’être au rendez-vous assez rapidement. Une dernière fois, Isabelle nous fait un amical signe de la main, comme pour nous souhaiter « un bon Camino », nous lui rendons la politesse et constatons que ce fut encore une belle rencontre….
Le petit ru enjambé, nous parcourons les ruelles encore désertes du village « Cathare » pour nous engager dans la même direction que celle empruntée la veille pour le Mémorial avant de bifurquer sur une petite route avec cap vers l’Ouest….
A la croisée des chemins, notre regard se porte sur un pré encore « assoupi » dans la brume matinale et dans lequel, deux ânes et un ânon restent figés derrière l’enclos et semblent nous regarder fixement…Une photo s’impose pour immortaliser la scène….
L'ABONNEMENT A CANAL...
Il est près de 7h30 lorsque nous regagnons les rives de la Rigole. Comme chaque matin, Christèle ouvre la marche, avançant d’un pas métronomique mais assuré et provoquant un léger bruissement de ses bâtons dont les pointes caressent le sol encore « ému » par la rosée, et la « première sans cordée » est partiellement cachée par le revêtement orange de son sac….
Les premiers pas sur la Rigole sont toujours agréables, la douceur matinale et la campagne environnante timidement caressés par les premiers rayons de soleil provoque toujours un « relent » d’enthousiasme avec toujours cette « part de mystère » qui nous hante assez rapidement : le sentiment de ne pas vraiment pouvoir se situer dans l’espace.
Sur cette terre ferme, l’impression d’arpenter un long labyrinthe dont la sortie n’est pas assurée finit par animer le marcheur qui sort parfois de sa rêverie pédestre pour revenir à la réalité de plus en plus monotone du parcours….
Vu du ciel, c’est un long corridor boisé et entaillé par un cours d’eau sans fin qui zigzague avec allégresse au cœur de cette campagne si fertile et à l’habitat composé de « métairies », ses fermes isolées qui nous suggèrent la présence de quelques rares présences humaines….
Nous sommes en fait dans le lieu-dit « la Bordé basse » situé à mi-chemin des Cassès et de Saint-Paulet, au cœur de cette plaine du Lauragais qui aime « prendre la pose » au milieu du décor pictural qu’elle présente : un « océan » de champs de tournesols qui aurait certainement inspiré le Van Gogh en « résidence » à Auvers-sur-Oise, au cœur du Vexin Français……
Les champs de blés récemment fauchés et impeccablement ramassés sont soudainement assombris par la présence de bosquets épars qui constituent une autre partie de notre champ de vision. Ils disparaissent bientôt, les rives de la Rigole nous rappelant à son souvenir, quelques branchages rebelles ou autres plantes hostiles chatouillent sa surface presque dormante….
Nous marchons à présent depuis près de quatre heures, arrivant à la hauteur du village de La Bastide d’Anjou, nom de localité curieux du fait de l’éloignement de la Province éponyme mais nous en trouverons la raison ultérieurement : la bastide a été construite par le Duc d’Anjou, frère cadet du Roi Charles V qui le nomme Lieutenant Général du Languedoc en 1364, ce qui signifiait gouverneur militaire de la Province….
Anecdote amusante, comme on le sait, sous la Révolution Française, toute localité faisant allusion à l’Ancien Régime était « rebaptisée » d’office, l’actuelle commune devint alors « La Bastide Fresquel » du nom du ruisseau qui jouxte la Rigole….
Nous franchissons un petit pont de pierre au-dessus du Canal et qui nous rapproche d’une route départementale, celle qui relie Castelnaudary à Montferrand….
L’endroit n’est pas vraiment terrible, mais il fait chaud : nous avons soif et nous commençons à avoir faim : nous décidons dans la foulée de nous poser ici pour une petite demi-heure, voire un peu plus…A défaut d’un paysage bucolique, nous pourrons voir défiler les voitures sur la départementale… j’en conviens, le randonneur n’est pas toujours au « top » …
Dans la foulée, nous procédons au rituel tant apprécié du retrait des chaussures de marche suivi d’une petite inspection des doigts de pieds qui au fil du temps ont fini par subir les « outrages » de la marche qui bien que peu intensive diverge malgré tout de notre rythme habituel des balades du week-end.
Ce « contrôle technique » annonce un verdict implacable » : quelques ampoules ou durillons ont fait leur apparition, nécessitant illico presto la pose de quelques sparadraps salvateurs sur nos petons martyrisés….
Niveau gastronomie, nous sommes en phase « pique-nique rustique », ayant sorti nos attirails de dinette (dont le mien, acheté dans un magasin « à fond, la forme !) pour dévorer nos conserves et autres cochonnailles bourratives….
Il est bientôt l’heure de repartir…Il nous reste bien une dizaine de kilomètres à effectuer afin d’arriver à bon port… Mais rapidement, un premier obstacle se présente à nous : la difficulté à trouver la suite du chemin et les indications sur la carte sont incomplètes.
Comme lors d’un match de tennis, nous tournons la tête de gauche à droite et de droite à gauche, en tenant de retrouver notre trajectoire... C’est alors que nous apercevons l’entrée d’une entreprise non loin de là, de l’autre côté de la Départementale. Christèle part en éclaireuse pour tenter de trouver quelqu’un susceptible de nous orienter….
Elle revient cinq minutes après, l’air un peu hilare…En pénétrant dans la cour de l’entreprise du bâtiment, elle a rencontré des ouvriers en train de déjeuner qui l’ont regardée comme une Martienne affublée d’un sac à dos et de deux bâtons de randonnée mais passée cette « rencontre du troisième type » ont fini par la renseigner sur le chemin à suivre même si certains autochtones pensent toujours que « Compostelle » est un peu un chemin pour « les allumés » ….
Nous nous engageons dans un chemin de terre de l’autre côté de la départementale qui nous permet de retrouver la Rigole et son corridor forestier au cœur de la plaine….
Ce petit périple post-digestif nous fait rapidement découvrir le Moulin de Naurouze, située à l’endroit même du débouché de la Rigole de la Plaine…Cet édifice à l’apparence légèrement décrépie date du XVIIème siècle et c’est peu de dire qu’il est autant chargé d’Histoire que de symbole.
Effectivement, cette ancienne minoterie rachetée dans les années 90 par la famille Spark, un couple d’Anglais afin de la transformer en site d’hébergements pour randonneurs et pèlerins, a pu accueillir jusqu’à 1500 personnes durant la saison sans compter les 10 000 visiteurs du Seuil de Naurouze limitrophe. Peu avant de cesser leur activité, il y a trois ans, ils accueillaient encore des artistes pour ce qui fut à l’origine la maison de l’Ingénieur en charge du Canal….
Située sur la commune de Montferrand, le Moulin fut auparavant exploité durant quatre générations par la Famille Marty qui cessa son activité en 1985 et le moulin connut des heures sombres (squats, vandalisme) avant de reprendre vie grâce au couple cité plus haut….
Mais au-delà du Moulin, nous découvrons le Seuil de Naurouze, point culminant à 189 mètres d’Altitude du Canal du Midi où sa ligne de faîte, rappelons-le, partage les eaux captées dans la Montagne Noire vers l’Atlantique (à l’Ouest) ou la Méditerranée (à l’Est) ….
Outre la création de cette rivière artificielle que fut la Rigole, son concepteur Pierre-Paul Riquet eut également comme projet de créer un port en ce lieu jugé stratégique notamment au niveau économique car il constituait de facto la jonction entre le Canal et la Rigole rendue navigable jusqu’à Revel, permettant un afflux de marchandises vers le Seuil transformé en nœud commercial de premier ordre. Malheureusement pour Riquet, ce projet fut abandonné pour des raisons d’abord financières puis surtout à cause de la concurrence avec le projet du port de Castelnaudary, Capitale du Lauragais….
Le « Père du Canal » qui nous accompagne depuis notre départ de Béziers, sa ville natale et que nous retrouverons à Toulouse était donc un « visionnaire », reconnaissant au « Roi Soleil » Louis XIV d’avoir adoubé son « œuvre », bien plus pratique et surtout beaucoup moins mégalomane que la création des autres étangs et viaducs creusés entre Maintenon et Rambouillet pour alimenter en eau le Château de Versailles….
C’est vrai, ce site de Naurouze dont la Rigole forme une sorte de boucle enserrant le « seuil » n’a plus aujourd’hui qu’une utilité touristique, naguère sujet à des problèmes d’ensablement qui feront donc avorter tous les autres projets.
A l’origine, Riquet avait fait creuser un vaste plan d’eau alimenté par la Rigole et avec l’ambitieux projet de bâtir autour une « ville nouvelle » composée de bâtiments et de pavillons inspirés du site de la « Place Royale » à Paris, en outre doté d’un arsenal et d’une paroisse….
Néanmoins, il reste un témoignage vivant de cette grandeur passée. Au début du XIXème siècle, les héritiers de Riquet ont fait dresser un Obélisque (que nous ne verrons pas) qui se situe entre noter Centre de Gravité et la Départementale…
Nous sommes lundi et bien que nous soyons toujours en période estivale, il y a finalement assez peu de monde sur le site, sinon quelques promeneurs mais on est très loin des flux de randonneurs ou de touristes précédemment cités…. Une imposante sculpture représentant probablement le « Roi Soleil » est posée à même le sol attirant la curiosité des passants et des amateurs de photographie…
Nous quittons ce site unique pour poursuivre notre périple qui sera à présent toujours le long du canal avec un grand nombre d’écluses, de bateaux de plaisance et en ce qui concerne la terre ferme, à défaut de voir des pèlerins, nous croiserons de plus en plus de cyclistes qui effectuent cette « classique » qu’est devenu le Canal du Midi……
L’Ecluse de « l’océan » se présente à nos yeux, elle fut mise en chantier en 1670 et sera terminée l’année suivante avec les premiers essais de « mise en eau » du tronçon Naurouze-Toulouse. A l’origine, elle avait été baptisée « Montferrand » du nom de la localité et sera alors la deuxième écluse sur le « versant Atlantique » car auparavant une première écluse avait été édifiée avant de disparaitre avec la transformation du Bassin de Naurouze au XVIIIème siècle…
Longue de 30 mètres et large de 5.6 mètres, de forme elliptique, elle constitue un ouvrage propre à la circulation navale, permettant au bateau de franchir une dénivellation entre deux biefs contigus en agissant comme une « ascenseur hydraulique » ….
Pour info et c’est important de le mentionner, en hydrologie : un bief désigne la section d’un canal de navigation délimitée par deux écluses, alimentée par le « bief amont » (ou bief supérieur) qui se vide dans le « bief aval » (ou bief inférieur) … Quant à nous, ils serviront essentiellement de « marqueur » de progression de notre étape… A l’eau, ne coupez pas !
Une plaque scellée sur le mur de la maison éclusière retient mon attention. Je m’approche et découvre qu’elle est dédiée à Thomas Jefferson, grand amoureux de la France où il fut ambassadeur des Etats-Unis avant d’en devenir le 3ème Président (1801-1809).
Cet homme de culture voyagea beaucoup à travers le terroir français, ayant probablement foulé le sol sur lequel nous nous trouvons dans l’instant présent et vanta ultérieurement la richesse de notre patrimoine à travers son pays…Ami de Lafayette, il contribua à l’élaboration de la Constitution du tout jeune état américain…
La ballade continue lentement mais sûrement sous un parcours ombragé et la vue d’une péniche accostée sur la rive rappelle un peu les canaux au nord de la Loire, comme celui du Nivernais par exemple….
Nous ne sommes plus très loin d’Avignonet, et nous découvrons une colline face à nous, il s’agit en fait des hauteurs du village de Montferrand. Nous sommes toujours dans l’Aude mais à la frontière de la Haute-Garonne. Il fait de plus en plus chaud, après avoir continué à longer la rigole, une certaine lassitude commence à nous envahir.
Nous décidons alors de nous poser quelques temps. Comme d’habitude, dépose du sac, aération des pieds et désaltération du gosier. Je profite pour tremper mes pieds dans l’eau fraîche tout en constatant que mon tendon droit me provoque une douleur lancinante qui d’ailleurs m’amène depuis ce matin à adopter inconsciemment une démarche trainante pour ne pas dire claudicante ….
Il ne nous reste probablement plus que deux kilomètres avant d’atteindre la Goutille, mais il est quatorze heures et le gîte n’ouvrira pas avant une heure et demie, autant s’arrêter que de continuer en plein « cagnard » encombré d’un sac à dos qui commence à « peser » tout autant que la fatigue cumulée au fil de la semaine….
Nous avons sentiment d’avoir « coulé une bielle » comme on dit en mécanique, lorsque le moteur lâche… En ce qui nous concerne, le nôtre n’est heureusement que grippé. C’est alors que Christèle aperçoit un panneau indiquant « Port Lauragais » 1 km…. « Et si on y allait, en attendant ? » me suggère-t ’elle, c’est ce que nous faisons quelques minutes après…. On pourra boire un café et surtout tirer de l’argent à un distributeur de billet afin de pouvoir payer la nuitée….
« Port-Lauragais » est simultanément une aire de l’Autoroute A9 (axe Montpellier-Toulouse), j’ai oublié de vous dire que nous sommes à quelques mètres de cette longue langue de bitume qui relie les deux métropoles occitanes et une base de loisirs de près de 2 hectares, pourvue d’un plan d’eau pouvant accueillir des bateaux de faible tonnage, doté également d’une capitainerie, d’une zone hôtelière et de restauration ainsi qu’une Maison de la Haute-Garonne dédiée au tourisme…
La route qui mène à cette « oasis » autoroutière est un peu longuette, du moins c’est notre ressenti lié à la fatigue et surtout la chaleur. En arrivant, nous nous postons à un Café situé face au plan d’eau et l’établissement est assez fréquenté….
La clientèle du café comme celle du « Port » est probablement un mix entre les automobilistes de l’autoroute et les badauds de la base de loisirs… Nous sirotons finalement une boisson rafraichissante. Après une petite ballade autour du lac, nous nous rendons à la Maison de la Haute-Garonne qui ressemble à toutes ces haltes d’accueil que l’on trouve sur les autoroutes, riches en souvenirs locaux, produits régionaux, livres et cartes de la région…
Au moment de repartir, nous constatons la présence d’un hôtel dans lequel nous aurions pu finalement réserver pour la nuit mais notre rendez-vous au gîte a été acté et il serait plutôt inconvenant de trouver un « nouveau » subterfuge pour ne plus nous y rendre, comme ce fut le cas lors de l’escale à Castres….
A la sortie de Port-Lauragais, il nous faudra faire un ultime effort car une pente assez raide nous attend et qui s’avère totalement dépourvue de la moindre « once » d’ombre…. Un côteau constitué d’une route en lacets avec quelques maisons isolées qui constituent la seule trace d’habitat sur cet endroit à l’apparence aride et qui contraste surtout avec le paysage autoroutier qui lui fait face…….
Arrivés au sommet de la colline, nous découvrons un paysage constitué de vastes champs cultivés à perte de vue qui nous rappelle la richesse agricole du Lauragais, sorte de « poumon rural » aux portes de l’Agglomération Toulousaine (qui n’est plus qu’à une quarantaine de kilomètres d’ici)..
Une longue descente nous amène avant d’aboutir un vallon dans lequel est niché une ferme et ses dépendances mais ce n’est pas encore la Goutille. Ce lieu-dit est situé cinq cents mètres plus loin sur les hauteurs et apparait relativement isolé…
Ca y est, un panneau l’indique, invitant à emprunter un chemin pentu et caillouteux, une « boite aux lettres » vissée à l’entrée de la propriété est distante du gîte d’une centaine de mètres et nous laisse découvrir la bâtisse face à un grand jardin composée d’arbres fruitiers. Une voiture est garée devant le garage, c’est sans nul doute celle de Danielle qui ne va pas tarder à nous accueillir….