« François Léotard a servi l’État et porté une grande idée de la culture. Avec sa disparition, nous perdons un esprit libre, un homme de livres et d’engagement. Son Var natal, la France qu’il a défendue, la République qu’il aimait éprouvent aujourd’hui une grande perte ».
C’est avec ces quelques lignes que le Président de la République, Emmanuel Macron a tenu à rendre hommage à l’ancien ministre, disparu ce 25 avril à l’âge de 81 ans et qui lui avait d’ailleurs apporté son soutien lors de la présidentielle de 2022.
François Léotard fut indéniablement une des figures les plus en vue de la vie politique des années 1980 à 2000, certains voyant même en lui un présidentiable sérieux et pourtant en ce début du XXI -ème siècle, il avait mis un terme à sa carrière politique, déclarant même à Thierry Ardisson qui l’avait invité dans « Tout le monde en parle » : « qu’il avait mis 25 ans pour se rendre compte qu’il n’était pas fait pour la politique ».
Curieux constat de la part de cet homme ambitieux et soucieux de faire « bouger les lignes » d’une classe politique qu’il jugeait archaïque opposant (pour simplifier) une droite Giscardo-bonapartiste et une Union de la gauche socialo-communiste… Vaste programme, surtout en voulant insuffler une volonté de « libéralisme décomplexé » …
Retour en arrière : Né dans une famille originaire du Var et des Alpes Maritimes du côté paternel et Corse côté maternel, il avait lui-même vu le jour en 1942 à Cannes au sein d’une famille nombreuse de sept enfants : quatre filles et trois garçons, dont François et son frère Philippe.
Son père André est un haut-fonctionnaire, catholique et monarchiste. Sa mère, Antoinette Tomasi est issue d’une famille de Haute-Corse, fille d’un célèbre Photographe de l’époque Ange Tomasi.
Il deviendra Maire de Fréjus entre 1959 et 1971. A peine élu, il doit faire face à l’épouvantable tragédie du Barrage de Malpasset situé sur le territoire de sa commune et qui cédera suite à une crue gigantesque provoquée par des pluies diluviennes qui s’étaient abattues auparavant sur la région : plus de 50 millions de mètres cubes d’eau engloutiront tout sur leur passage, provoquant la mort de plus de 450 personnes.
L’opinion publique lui fera porter la responsabilité de cette tragédie, alors qu’il venait d’arriver aux affaires municipales mais dont il devra porter le lourd fardeau jusqu’à sa disparition en 1975.
François Léotard aimait à rappeler que c’était pour laver l’honneur de son père qu’il avait tenu à se lancer en politique en se présentant aux élections municipales de mars 1977 à Fréjus où il l’avait emporté assez facilement, comme il soufflera d’ailleurs la 4ème circonscription du Var au RPR sortant, Mario Bénard lors des législatives de 1978 sous les couleurs du Parti Républicain, composante de la nouvelle formation UDF.
Et d’emblée, il s’affirme à 36 ans comme un des nouveaux « Cadets de la Droite », tendance « libérale » avec d’autres nouveaux élus qui ont pour nom Gérard Longuet et Alain Madelin qui feront partie de « la Bande à Léo » au beau milieu des années 80.
Pourtant, dans sa jeunesse, François Léotard était aux antipodes de cet ancrage politique, provoqué par l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 avec le triomphe du « libéralisme avancé » qui finit donc par séduire celui qui avait naguère plutôt la « tripe à gauche », votant d’ailleurs même Mitterrand aux deux tours de la présidentielle.
Alors que son père est partisan du retour du Général de Gaulle aux affaires, il entre en rébellion contre son autorité au tout début des années 60, il milite alors au sein du PSU et s’oppose à la Guerre d’Algérie tandis qu’en mai 1968, il défile dans la rue pour défier le pouvoir en place,
D’autres pensent également que ce « revirement » serait lié à sa rencontre avec celle qu’il épouse à Etiolles (Essonne) en 1976, France Reynier, une professeure de biologie qui le convertit définitivement au libéralisme. Cette mère de famille divorcée de trois enfants (que François Léotard adoptera à leur majorité) sera même ultérieurement vice-présidente du Parti Républicain en Essonne.
FRERE HONORAT FINALEMENT SOUMIS A LA TENTATION
Auparavant, à l’aube de ses 20 ans, François Léotard est également pris d’une crise mystique et envisage d’entrer dans les ordres, ce qu’il fait d’ailleurs sous le nom de Frère Honorat en faisant un an de noviciat à l’Abbaye bénédictine de la « Pierre qui vire » située à Saint-Léger Vauban dans l’Yonne.
Cependant, la vie monacale ne lui sied finalement pas, le « novice » n’étant pas dépourvu d’ambition professionnelle et surtout de l’envie de séduire. Il claque donc la porte du Monastère (mais il restera toutefois un fervent catholique) pour reprendre ses études, notamment à Sciences Po pour ensuite intégrer l’ENA (où il créé la première section CFDT) au tour extérieur.
François Léotard entame une carrière de sous-préfet, notamment en Dordogne puis intègre le ministère de l’Intérieur dirigé alors par Michel Poniatowski qui apprécie d’ailleurs ses talents en matière de prospective électorale. On connait donc la suite, après l’élection à la mairie de Fréjus, le voici élu Député puis Conseiller Général du Var en 1980.
Le début des années 80 en France est donc marquée par de grands bouleversements politiques : le 10 mai 1981, François Mitterrand remporte l’élection présidentielle face au sortant, Valéry Giscard d’Estaing.
Candidat pour la 3ème fois (depuis 1965), le leader de l’opposition obtient 52% des suffrages et permet ainsi la Gauche de sortir de 23 ans d’opposition, tout en transformant l’essai lors des élections législatives anticipées de juin avec un « raz de marée » des « forces de Gauche ».
François Léotard est lui réélu dans sa circonscription du Var et entre alors en opposition frontale au nouveau pouvoir socialiste qui met en pratique un grand nombre des 110 propositions de l’ex-candidat Mitterrand : la décentralisation, les nationalisations, la retraite à 60 ans, etc… une politique autant réformiste que dispendieuse qui débouchera sur le « tournant de la rigueur » dès 1983
Pourfendeur donc de ce qu’il juge être une « gabegie budgétaire » le maire de Fréjus devient Secrétaire Général du Parti Républicain, issus des anciens Républicains Indépendants et composante droitière de l’UDF et affiche clairement son ancrage « libéral » opposé au centrisme « mou » et à l’opportunisme du RPR d’un Jacques Chirac, qui change sans cesse de boussole idéologique…
François Léotard devient rapidement une figure « populaire » dans le milieu politique, souvent largement médiatisée, on le voit d’ailleurs souvent invité sur les plateaux télé, participé à des émissions en vogue, dont le fameux « questions à domicile » d’Anne Sinclair et du regretté Pierre-Yves Séguillon, qu’il reçoit dans sa maison de Fréjus en compagnie de son épouse France ou encore l’incontournable « L’Heure de vérité » du non-moins regretté François-Henri de Virieu.
En 1982, Il s’empare de la vice-présidence de l’UDF, cette fédération de partis créée lors des législatives de 1978, sorte de « machine de guerre » Giscardienne et regroupant une grande partie de la droite et du centre non Gaulliste : outre le Parti Républicain, on y trouve le Centre des Démocrates Sociaux créé par Jean Lecanuet (le maire de Rouen qui devient Président de l’UDF entre 1978 et 1986), le Parti Social-Démocrate (anciens socialistes ayant refusé l’Union de la Gauche), le Parti-Radical Valoisien (qui a lui divorcé du MRG) mais également les Adhérents Directs de l’UDF ou encore les Clubs Perspectives et Réalités.
Rappelons si la création de l’UDF en 1978 avait permis de s’imposer comme une force crédible face à un RPR en pleine ascension (et devenant une sorte de contre-pouvoir face à l’Elysée), il avait également été l’un des artisans de la victoire de la Droite et du Centre aux législatives, défiant tous les pronostics misant plutôt sur l’avènement de l’Union de la Gauche.
Cependant, les législatives anticipées de 1981, font faire perdre la moitié de ses députés (s’élevant alors à 66) et se transformant en mouvement politique composé surtout de notables locaux et souvent vieillissants.
Ainsi, l’actuelle UDF a perdu sa suprématie sur le RPR acquise lors de l’élection 1974 tout en accusant le parti Chiraquien d’avoir fait perdre leur champion le 10 mai. Les querelles UDF-RPR ne vont pas cesser de se développer au cours du Quinquennat mais les premières difficultés rencontrées par le nouveau pouvoir ne vont pas tarder à redynamiser les troupes d’opposition.
En 1983, la Droite et le Centre remportent les élections municipales, remportant de nombreuses grandes villes et un grand nombre de communes de plus de 9 000 habitants.
L’UDF sort vainqueur à Saint-Etienne, Annecy, Toulouse (où le Journaliste de télévision Dominique Baudis succède à son père Pierre), Toulon (avec Maurice Arreckx, surnommé « le Parrain du Var », Aix en Provence mais Jean-Claude Gaudin échoue face à son « ex-allié » Gaston Defferre à Marseille, grâce au suffrage d’arrondissement.
François Léotard est lui réélu à Fréjus, et compte bien tourner la page du « Giscardisme » et compte bien se mettre en ordre de bataille en vue des législatives de 1986.
François Léotard devient donc le « chouchou des médias », jeune, dynamique, sportif : pas un reportage ou un article le montrant en train de courir et incarnant indéniablement une des « valeurs les plus sûres » du renouveau politique.
Ainsi, il a réussi à « venger » l’honneur de son père André, naguère calomnié à cause de la catastrophe du Barrage de Malpasset et réussi à même se faire un « prénom ». Mais ici, il s’agit plutôt d’une allusion à un autre Léotard en vogue au début de ses années 80, c’est son frère aîné Philippe.
Philippe Léotard est né en 1940. En 1983, il vient de remporter le César du Meilleur acteur pour « La Balance » film multi-césarisé de Bob Swaim et qu’il interprète avec son ex-compagne Nathalie Baye. Le frère ainé de François qui s’était d’abord destiné à l’enseignement, a rapidement bifurqué vers le milieu artistique, rejoignant notamment le « Théâtre du Soleil » dirigé par Ariane Mnouchkine.
Dans les années 70, alors qu’il a commencé à se faire un nom au théâtre, il « perce » dans le cinéma, on le voit notamment dans « Avoir 20 ans dans les Aurès » ou encore « Le Juge Fayard », il est très demandé par des réalisateurs prestigieux tel Claude Sautet, qui a jusqu’à donner le nom de « Léotard » à l’un des personnages de « Mado » interprété par Michel Piccoli ou encore Claude Lelouch.
Il sera également poète et chanteur à succès. Dans la famille Léotard, c’est le « modèle » à suivre et l’un de ses plus fervents admirateurs n’est autre que son cadet François. Une grande complicité l’unira à son frère aîné jusqu’à la mort de celui-ci en 2021.
Pourtant, leur parcours personnel est bien différent : tandis que l’un évolue avec ambition dans le milieu politique et à qui on promet un brillant avenir tandis que l’autre s’enfonce dans un lent mais dangereux processus d’autodestruction, usant de drogue et d’alcool au quotidien et se marginalisant dans le milieu artistique où il était également promis à un non moins brillant avenir.
Quand l’un soigne son look de gendre idéal, l’autre est marqué progressivement par les excès, avec un visage marqué et une voix de plus en plus éraillée. Pourtant, le premier continuera de vénérer ce frère qu’il jugeait exceptionnel, l’aidant tout en étant conscient de ne pouvoir pas faire grand-chose contre les vieux démons qui animent son frère. Ce qu’il ignore et découvrira plus tard, c’est que malgré ses railleries sur les ambitions politiques de son frère, il lui voue une admiration identique.
La disparition de Philippe Léotard affectera beaucoup son frère et déclenchera certainement un électrochoc, le poussant finalement à quitter la vie politique… Il lui dédiera également un livre émouvant : « Lettre à mon frère qui n’est pas mort ».
M comme Ministre
Les élections de mars 1986 sont remportées par l’opposition RPR-UDF mais de façon plutôt étriquée du fait du mode de scrutin à la proportionnelle mis en place qui permet à la Gauche sortante d’éviter une déroute électorale mais également au Front National de Jean Marie Le Pen d’envoyer 35 députés au Palais-Bourbon. Une première depuis la création du parti Frontiste en 1972 tandis que son leader, ancien député Poujadiste fait un retour en force sur les bancs de l’assemblée après 24 ans d’absence !
L’UDF emporte 121 sièges contre 153 au RPR tandis que la nouvelle majorité en compte 290 sur 577. La Gauche (PS et PC, ce dernier pourtant en net recul) parvient donc à sauver les meubles avec 247 sièges.
Ainsi, cette victoire va donc entrainer la première Cohabitation de la Vème République.
Le Président Mitterrand nomme Jacques Chirac, Premier Ministre. C’est donc la 2ème fois depuis 1974 que le Député de Corrèze et maire de Paris s’installe à l’Hôtel de Matignon. Le Président avait d’abord pensé à Jacques Chaban-Delmas (déjà Premier Ministre entre 1969 et 1972) mais finalement ce dernier retrouve la présidence du « Perchoir » de l’Assemblée qu’il avait déjà exercé entre 1958 et 1969
Lors du premier conseil des ministres de cohabitation, l’ambiance semble tendue voire glaciale tant cette situation est insolite sous la Vème République. Si certains pensent que le rôle de François Mitterrand va être réduit à la « portion congrue », ils se trompent.
D’anciens ministres des années Pompidou et Giscard ont fait leur retour tels Pierre Méhaignerie, René Monory, Albin Chalandon, Bernard Pons ou André Giraud ainsi. Charles Pasqua, proche de Jacques Chirac ou Edouard Balladur, ancien Secrétaire général de l’Elysée font également leur entrée au gouvernement.
Mais c’est surtout une nouvelle génération qui arrive, venant du RPR comme Michel Noir, Alain Carignon et de l’UDF tels Jacques Douffiagues, Alain Madelin ou encore Gérard Longuet…
François Léotard devient donc ministre de la Culture et de la Communication, il sera secondé par un secrétaire d’Etat qui n’est autre que Philippe de Villiers. L’ancien sous-préfet de Vendôme qui avait démissionné pour ne pas « servir » le nouveau pouvoir Socialo-Communiste en 1981, s’est fait connaitre pour avoir créé le spectacle du « Puy du Fou » sur ses terres de Vendée.
S ’il n’a pas réussi à être élu Député lors des dernières municipales, il rejoindra toutefois le Palais-Bourbon par suite du décès de son colistier élu Vincent Ansquer en 1987 sera remplacé par André Santini, inamovible maire d’Issy-les-Moulineaux.
Une des premières mesures prise par le nouveau ministre de la Culture et de la Communication est de créer un nouvel organe de régulation de l’audiovisuel : la CNCL (Commission Nationale de la Communication et des libertés) qui succède ainsi à la Haute-Autorité.
Il est constitué de 9 nombres, dont un tiers est nommé par le Président de la République, un autre par le Président du Sénat et enfin un dernier par le Président de l’Assemblée nationale.
Présidé par le Haut-fonctionnaire Gabriel de Broglie, on compte parmi ses membres quelques figures de l’audiovisuel : Daisy de Galard (« Dim Dam Dom »), Pierre Sabbagh ou encore Michel Droit.
François Léotard entame donc un virage libéral en matière d’audio-visuel : c’est sous son ministère que la privatisation de TF1 va voir le jour. L’ancienne « Première (et unique) chaîne historique » est attribuée au Groupe Bouygues, le géant du BTP après avoir été auditionné par la CNCL et qui était en concurrence avec le Groupe Lagardère.
Novice en matière d’audio-visuel, Francis Bouygues s’entoure de grands professionnels du milieu, à l’instar d’Etienne Mougeotte, Anne Sinclair, Christine Ockrent ou encore Patrick Poivre d’Arvor et promet de respecter le « cahier des charges » imposé, notamment sur le volet culturel…
En outre, on procède alors à une réattribution des concessions de la Cinquième Chaîne (« la 5 ») au Groupe Hersant et Berlusconi et de la Sixième Chaîne à la Lyonnaise des Eaux ainsi la Compagnie Luxembourgeoise de Télévision. (CLT).
Mais François Léotard s’attaque également au développement de l’éducation artistique, avec le développement d’enseignements dispensés dans les établissements scolaires et du supérieur. Il met en place également la FEMIS qui remplace l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) initiée par son prédécesseur Place de Valois, Jack Lang.
Il est également à l’origine de la création de l’Ecole Nationale Supérieure des arts de la Marionnette à Charleville-Mézières (Ardennes) qui forme les futurs marionnettistes de France comme du reste du monde.
En 1988 sera également votée une loi-programme concernant le patrimoine monumental afin de pouvoir mieux associer le tourisme, le patrimoine mais également l’aménagement du territoire et d’exonérer des droits de successions les legs ou autres donations de monuments classés.
Enfin, le mécénat industriel sera renforcé et un secrétariat général de l’environnement culturel sera créé afin de mieux coordonner les différentes actions du ministère.
La Bande à Léo
La « bande à Léo » c’est ainsi que l’on nommait le petit groupe de jeunes libéraux qui se réunissait chaque semaine autour de François Léotard. Ils appartenaient comme lui au premier gouvernement de cohabitation dirigé par Jacques Chirac.
Durant cette « parenthèse enchantée » pour eux (ils ne sont restés que 2 ans au pouvoir), ils ont réussi à provoquer une sorte de phénomène politico-médiatique, tentant d’imposer un libéralisme économique affirmé qui sonnerait le glas d’une droite Gaullo-Bonapartiste étatique mais également celle du « libéralisme centriste avancé » de leur ex-mentor Valéry Giscard d’Estaing.
Ils s’appelaient Alain Madelin, Gérard Longuet, Jacques Douffiagues ou encore Claude Malhuret, des « jeunes loups » avides d’appliquer une nouvelle politique inspirée de celle venue d’Outre-Atlantique en particulier et du monde anglo-saxon en général.
Pourtant, à l’origine, rien ne semblait pouvoir rassembler les membres de ce quintet qui ressemble en fait à un curieux attelage : Gérard Longuet et Alain Madelin (ce dernier fils d’un OS chez Renault communiste !) venaient de l’extrême-droite tandis que Claude Malhuret, ancien de Médecins du Monde : avait fait ses classes à l’extrême-gauche, seul Jacques Douffiagues, maire d’Orléans venait du courant « républicain » ayant même été directeur de cabinet de Jean-Pierre Soisson.
Pour Léo, comme on l’a mentionné plus haut, d’abord la « tripe à gauche » puis le « virage libéral » insufflé par sa femme de l’époque, France. Ce qui est amusant, c’est qu’il a certainement dû affronter ses deux lieutenants Madelin et Longuet en 1968, mais bon ô Tempo, ô Mores !
Ce quintet est en quelque sorte une sorte de « think thank » avant l’heure, qui compte bien préparer les échéances présidentielles de 1988 et mettre un terme au « septennat socialiste » et parallèlement tourner la page du « giscardisme » car il est peu probable que celui qui fut (à l’époque) le plus jeune président de la République que la France ait connue se représente.
En outre, bien que membres du gouvernement de Cohabitation Mitterrand/Chirac : Léotard (Culture) Madelin (Industrie,), Longuet (PTT), Douffiagues (Transports) et Malhuret (Droits de l’Homme) veulent exprimer leur différence face à un RPR Chiraquien qui compte bien reconquérir le pouvoir face à un Mitterrand que l’on dit usé.
Mais c’est sans compter sur le chef de gouvernement, Jacques Chirac qui compte bien prendre sa revanche sur 1981, où il avait trébuché au 1er tour tout en contribuant à l’élection de François Mitterrand face à Giscard au second tour.
François Léotard, en plus d’incarner une nouvelle référence intellectuelle de la Droite espère bien se mettre dans les Starting blocks de la présidentielle de 1988 pour défier le locataire de l’Elysée (à condition qu’il se représente) mais on sait que cette volonté échouera et c’est Raymond Barre qui représentera la famille UDF pour l’occasion, ne dépassant toutefois pas le premier tour. Malgré un (timide) soutien au chef du gouvernement pour le second tour, François Mitterrand, profitant des « divisions » profondes de la droite, sera très facilement réélu avec près de 55 % des suffrages…
L’Assemblée nationale sera dissoute et les élections législatives se rejoueront au suffrage majoritaire uninominal a deux tours, permettant à la gauche de revenir au pouvoir, mais avec une majorité relative avec laquelle devra composer Michel Rocard, promu chef du Gouvernement.
L’ancien député des Yvelines lance une opération de séduction en direction des centristes, c’est ce que l’on appellera « l’ouverture », séduisant au passage quelques anciens ministres de Giscard : Michel Durafour, Jean-Pierre Soisson ou encore Olivier Stirn.
François Léotard restera dans l’Opposition pendant les cinq années qui vont suivre et prendra alors la tête du Parti Républicain. Elu Député Européen en 1989, il ne siègera toutefois pas à Strasbourg, préférant rester dans son fief du Var (Mairie, Circonscription).
Lui à la Défense, son frère à la Défonce
1993- Cinq ans après sa réélection triomphale, François Mitterrand subit une véritable bérézina électorale aux législatives de mars : près de 500 députés de Droite sont envoyées à l’Assemblée nationale. De nombreuses personnalités de gauche sont battues (dont le futur président de la République François Hollande ou l’ancien Premier Ministre, Michel Rocard).
Mais François Mitterrand ne démissionne et va donc entamer sa deuxième cohabitation. Tandis que Jacques Chirac refuse de revenir à Matignon pour la 3ème fois, le Président de la République nomme Edouard Balladur, un « ami de trente ans » du Maire de Paris et qui fut lors de la précédente cohabitation, Ministre de l’Economie et des Finances.
Le nouveau gouvernement compte parmi ses membres, François Léotard qui hérite du portefeuille de la Défense avec le rang de ministre d’Etat. C’est l’époque de la présence des Casques bleus français durant la Guerre dans l’Ex-Yougoslavie, devenue une nouvelle « poudrière des Balkans » mais également de l’organisation de l’Opération Turquoise qui concerne l’intervention au Rwanda des troupes tricolores (sous mandat de l’ONU, ndlr) à la fin du terrible génocide (conflit Tutsis/Utus) à partir de l’Eté 1994.
François Léotard et son frère Philippe font souvent la « Une » des journaux satiriques qui titrent « l’un est à la Défense et l’autre à la Défonce » rappelant au passage, les excès de l’acteur (drogue, alcool) et qui aime se moquer de la fonction de son frère, sous le regard bienveillant (mais inquiet) de ce dernier…
Une succession d’échecs et d’Affaires.
L’irrésistible ascension politique du Maire de Fréjus, entamée lors de son élection à la mairie Varoise en 1977 jusqu’à la fréquentation des palais ministériels dans les années 90 que l’on pouvait qualifier de « parcours sans fautes » va commencer à connaitre de sérieux « loupés » à partir de 1995 à la suite de mauvais choix stratégiques, de rumeurs et d’affaires politico-financières qui vont mettre à mal les ambitions présumés du leader du « courant néo-libéral » qui voulait réformer la « droite » .
En 1995, le deuxième septennat de François Mitterrand s’achève. Le Président de la République, très malade (il décèdera en janvier 1996) ne se représentera pas. Ultra-majoritaire à l’Assemblée, la Droite (et le Centre) a de grandes chances de voir élu un président issu de leur cas mais depuis 2 ans, le « prétendant naturel » Jacques Chirac s’est fait voler la vedette par le Premier Ministre Edouard Balladur, son « ami de trente ans » qui affiche à présent ses ambitions présidentielles, conforté par une popularité qu’il pense grandissante…
D’ailleurs, certains instituts de sondage le donne gagnant dès le 1er tour ! Cependant, Jacques Chirac entame donc un « tour de France » sur le thème de la « fracture sociale » pour tenter de « combler » son retard sur son désormais rival. Peu d’observateurs croient alors à sa « remontada » à commencer par Arlette Chabot qui lors d’une interview avec le maire de Paris lance un cruel : « franchement, vous y croyez vraiment ? » Qui laisse son interlocuteur autant agacé que médusé…
Comme Charles Pasqua, autre ex-vieil allié de Chirac mais qui ne croit plus en lui et comme Nicolas Sarkozy, il soutient un Edouard Balladur, initialement en position de force mais peu habitué aux campagnes présidentielles et qui au fil de la campagne va être rattrapé dans les sondages par le maire de Paris puis supplanté par celui-ci à l’issue du premier tour.
Un second tour qui va donc opposer deux « outsiders » : un Jacques Chirac, « ressuscité » mais devancé par Lionel Jospin, qui lui a profité du renoncement de Jacques Delors en 1994.
On connait la suite : « soutenu » la mort dans l’âme par les Balladuriens et ayant séduit une partie de la gauche, séduite par la « Fracture sociale », le Député de Corrèze l’emporte au second tour avec 52.6 % des suffrages.
C’est le début du « purgatoire » pour un bon nombre de « Balladuriens » qui ne seront pas reconduits dans le nouveau gouvernement dirigé par Alain Juppé. C’est le cas de Sarkozy et de Léotard mais pas de son ami Madelin qui lui devient ministre de l’Economie et des finances.
« Léo » rejoint les bancs de l’Assemblée nationale sous la bannière UDF, dont il prendra la présidence en 1996, succédant ainsi à Valéry Giscard d’Estaing mais son poids politique vis-à-vis des autres ténors de la Droite va fondre comme « neige au soleil » provoqué par une multitude « d’affaires » qui vont en outre ternir son « image » personnelle et l’amener progressivement à quitter le monde politique…
De l'autre côté du mur....
François Léotard est maire de Fréjus depuis 1977, il a de grandes ambitions pour sa ville qui a connu une croissance démographique fulgurante depuis le début des années 60 (date du mandat de son père), passant de 10 000 à près de 50 000 habitants dans les années 90 !
L’ancien ministre compte bien développer un nouveau quartier : Port-Fréjus qui concerne la construction d’une marina et d’un port de plaisance. Un projet qui remonte à 1986 et qui va provoquer un tollé au sein d’associations de défense de l’environnement et de nombreux propriétaires menacés d’expulsion.
Validé par le tribunal administratif de Nice, la déclaration d’utilité publique est finalement retoquée par le Conseil d’Etat qui juge le projet truffé d’illégalités. Les différentes associations de défense qui dénonçaient une déclaration d’utilité publique qui en fait n’était rien d’autres, selon elles qu’une vaste opération commerciale favorisant des promoteurs proches de la majorité municipale.
Un véritable camouflet pour un François Léotard qui se verra également accusé d'avoir sous-payé son ancienne propriété de Fréjus et d'avoir fait supporter à la collectivité la construction d'un mur la séparant d'un parc.
Toutefois, il obtiendra finalement deux non-lieux concernant ces deux affaires, après avoir fait appel.
Mais le voilà qui refait la « Une » des journaux avec l’affaire Yann Piat, la députée UDF du Var (mais ex-FN et filleule de Jean-Marie Le Pen) qui avait été assassinée en février 1994, provoquant une très vive émotion dans la classe politique française.
En 1997, Deux journalistes, Jean Michel Verne et André Rougeot publient « L’affaire Yann Piat, des assassins au cœur du pouvoir » et accusent François Léotard (surnommé « Encornet ») et Jean-Claude Gaudin (surnommé « Trottinette »), le maire de Marseille d’être les commanditaires de l’assassinat de la députée Varoise mais également d’être à l’origine du double meurtre (maquillé en suicide) des Frères Saincené, connus pour être des mafieux locaux notoires…
Pour finir, ces accusations graves s’avèreront sans fondements, les deux auteurs étant incapables d’apporter des preuves sérieuses, ayant recueilli sans vérifier les confidences d’un unique informateur totalement fantaisiste… Un nouveau non-lieu sera prononcé tandis que les deux journalistes seront lourdement sanctionnés.
Cependant, le maire de Fréjus ne cessera pas d’être confronté à de nouveaux ennuis judiciaires jusqu’à la fin de son existence : en 2004, il sera condamné à 10 mois de prison avec sursis pour financement illégal de parti politique et de blanchiment de capitaux puis en 2011,après la chute du dictateur Tunisien Ben Ali, il sera épinglé par une commission d’enquête sur la corruption du régime, l’accusant d’avoir été recruté comme Lobbyiste d’une entreprise française pour permettre à celle-ci de conclure un marché, moyennant l’octroi d’un avantage injustifié..
Enfin en 2017, il est mis en examen par la Cour de Justice de la République pour complicité d’abus de biens sociaux dans le volet financier de « l’affaire Karachi ». Il sera jugé en 2021, avec l’ancien Premier Ministre Edouard Balladur pour abus de biens sociaux et recel. Au final, si l’ancien Chef de gouvernement est relaxé, lui sera condamné à deux ans de prison avec sursis et une forte amende….
Le Clap de fin
Les différentes affaires citées plus haut, les conflits politiques (refus de soutenir le FN en région Paca) mais surtout la mort brutale de son frère Philippe en 2001 va inciter François Léotard à quitter définitivement la vie politique.
Invité de l’émission de Thierry Ardisson « Tout le monde en parle », il confiera à Thierry Ardisson «qu’il n’était finalement pas fait pour le monde politique » et qu’il avait purement et simplement commis une a erreur de parcours. Il sera nommé Inspecteur général des finances au tour extérieur puis se retire de la vie publique, préférant se consacrer à l’écriture. Il publiera environ une quinzaine d’ouvrages…
L’ancien maire de Fréjus a divorcé de sa femme France puis a épousé Ysabel. Ensemble, ils auront un fils, Marc-Antoine, son deuxième enfant après sa fille Julie, née d’une précédente union.
La politique n’a pas complètement disparue de l’esprit de l’ancien ministre qui soutiendra Nicolas Sarkozy en 2007, même s’il publie ultérieurement un brulot à l’adresse du chef de l’Etat : « Ca va mal finir » et apportera son soutien à Emmanuel Macron en 2022.
Il disparait donc le 25 avril 2023 à l’âge de 81 ans. Lors de ses obsèques à Fréjus, ses anciens compagnons d’armes seront présents (Madelin, Longuet) mais pas l’actuel maire de Fréjus, le RN David Rachline que son illustre prédécesseur méprisait au plus haut point….
Supportant probablement assez mal que Fréjus soit tombée sous l’escarcelle Frontiste en 2014, le parti de Marine Le Pen profitant alors des divisions fratricides à droite et qui sera réélu en 2020.
Le canton a également basculé RN lors des dernières départementales ainsi que la 5ème circonscription, naguère fief UDF qui a envoyé au Palais-Bourbon, une élue Frontiste, comme sept des huit autres circonscriptions du département !
Avec la disparition de François Léotard, une nouvelle page de l’histoire politique de la Vème République vient de se refermer, celle de la politique, d’avant 2017, lorsqu’il existait une Gauche et une droite de gouvernement sur fond d’alternance.
Curieux et paradoxal destin d’un homme politique malgré lui qui fut tenté de rentrer dans les ordres mais qui finalement préférer faire ses premières armes plutôt à gauche avant de rejoindre et de vouloir incarner la « tentation libérale » vaguement inspirée de celle pratiquée Outre-Atlantique et qui espéra un temps faire « bouger les lignes » entouré de quelques fidèles audacieux ,au sein de sa famille politique mais finalement sans succès véritable.
Rattrapé par les « affaires », il a donc tiré sa révérence, laissant au passage son « empreinte » au cours de cette longue Vème République, probablement fier d’avoir « vengé » l’honneur de son père et probablement pas mécontent, en tant que catholique pratiquant croyant à la vie éternelle de pouvoir rejoindre son frère si proche et si différent de lui afin de continuer à pouvoir parler des «vrais sujets » loin de concernant la vie politique où il avait fini par se trouver « hors sujet » .